peinture
(latin populaire pinctura, du latin classique pictura)
Art de l'artiste peintre ; ensemble des œuvres d'un peintre, d'un pays, d'une époque.
BEAUX-ARTS
La peinture est l'art d'utiliser des pigments pour tracer sur une surface des images constituant un ensemble cohérent porteur de sens. Du paléolithique à nos jours, elle a été et demeure un mode d'expression primordial de l'homme. Elle se définit techniquement par un support (en général revêtu d'un enduit, d'une préparation), des pigments de couleur, un liant et/ou un diluant. Sur le plan iconographique, son histoire offre un répertoire inépuisable de symboles et d'idées autant que de formes.
1. Évolution historique
1.1. De la préhistoire au Moyen Âge
Le champ de la peinture connaît une extension géographique et chronologique qui suit pour ainsi dire celle de l'humanité. Dès la préhistoire apparaissent les premiers décors pariétaux, comme à Lascaux. La peinture, alors essentiellement murale, utilise des procédés à l'eau. De l'Antiquité, marquée notamment par les différents styles décoratifs développés à Pompéi, au Moyen Âge et jusqu'à la Renaissance, où s’épanouissent nombre de peintures murales et de fresques au cœur des églises et des palais, les recettes se multiplient, qu'il s'agisse de détrempe, de tempera ou de fresque ; les matériaux les plus divers (colle, œuf, cire, etc.) interviennent dans les préparations.
Une majorité des peintures murales romanes de France sont, comme à Saint-Savin, exécutées à l'aide d'une sorte de détrempe à la colle. Les procédés à l'eau sont également adaptés aux œuvres indépendantes du mur (détrempe ou tempera sur panneau de bois) et au décor des manuscrits (variantes de gouache ou d'aquarelle des enluminures médiévales).
1.2. De la Renaissance au xviiie s.
Dans l'art occidental, la Renaissance ouvre une ère nouvelle marquée par de profondes transformations des techniques et des conceptions. Les xve et xvie s. voient ainsi le développement du procédé de la peinture à l'huile et l'usage de la toile comme support. Celle-ci en effet vient peu à peu supplanter les panneaux de bois et son emploi va de paire avec l’épanouissement de la peinture dite de chevalet. L’époque connaît également l’élaboration de la perspective linéaire mais aussi la mutation du rapport de l'homme à l'univers au fil des conquêtes scientifiques.
À la pratique des « recettes » s'ajoutent à présent l'observation de la nature, l'étude (anatomie, géométrie…) ainsi que la spéculation intellectuelle. Le peintre tend à être considéré comme un artiste et non plus comme un simple artisan.
Les possibilités nouvelles de la peinture à l'huile
La peinture à l'huile (de lin), dont l'invention fut attribuée à Van Eyck, est le résultat de nombreuses recherches pour obtenir une pâte colorée plus délicate et plus transparente ; elle permet des échanges lumineux plus riches. Le travail de la matière et la qualité sensuelle de la peinture se développent alors, d'abord dans la technique par fines couches successives, qui fait la manière précieuse des Flamands (panneaux de Van Eyck, Van der Weyden, Van der Goes), et qu'on retrouve chez Bellini ou Léonard de Vinci ; ensuite, la progression de l'usage de la toile comme support, dès le début du xvie s., favorise la technique des glacis et des empâtements, qui donne la facture souple et grasse des Vénitiens. On aboutit ainsi à la touche de Titien, puis à la modulation de Rubens et à la matière de Rembrandt. À travers ces évolutions, le travail de la couleur, comme celui de la préparation des fonds, est profondément renouvelé.
Les lois de la perspective
De son côté, la construction de l'espace, en pleine mutation depuis le début du xive s. (Giotto), se transforme au siècle suivant : la découverte et l'application de lois de la perspective (Brunelleschi) répondent au besoin d'une représentation « vraie », « rationnelle » de la réalité, c'est-à-dire fondée sur des rapports géométriques et mathématiques qui permettent une conception unitaire des objets et de la lumière.
Les expérimentations de la Renaissance (d'Uccello et Piero della Francesca à Léonard) se fixent en un ensemble cohérent à partir de la seconde moitié du xve s., puis se codifient en doctrine que transmettent, à partir du xvie s., académies et traités de peinture. La fonction de la peinture, création mais aussi instrument de prestige et d'apologie, appelle, dans les États forts qui apparaissent au xviie s., des lois strictes ; en France, l'Académie royale codifie et hiérarchise les genres : peinture d'histoire, portrait, paysage, peinture de genre, nature morte…
1.3. Les évolutions modernes
Il faut attendre le xixe s. pour voir se développer, face à l'académisme, de nouvelles exigences (Delacroix), de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux. La préparation des couleurs, notamment, se transforme (broyage industriel et non plus fait à l'atelier, conservation en tubes d'étain, création de couleurs de synthèse) : elle offre des teintes plus nombreuses et facilite le travail pictural, notamment en plein air. Ces nouvelles conditions sont déterminantes pour l'éclosion de l'impressionnisme, du fauvisme, de l'expressionnisme. Le rôle primordial accordé à la lumière et à la couleur dans la construction spatiale ouvre la voie aux spéculations cézanniennes, qui closent la tradition issue de la Renaissance et débouchent sur les conceptions nouvelles du cubisme ou de Matisse.
Dès lors, aussi diverses soient-elles, les recherches picturales mettent l'homme et ses rapports au monde (extérieur et intérieur) au centre d'une expression libre de toute soumission aux apparences. L'œuvre, avec l'abstraction, acquiert une autonomie totale et joue sur la spontanéité ou, au contraire, sur la construction pure, ou encore sur la diversité des matériaux (peintures nouvelles, comme les émulsions acryliques, incorporation de substances ou d'objets divers). Et, lorsqu'il est fait référence au monde visible (surréalisme ; nouvelle figuration), les lois de celui-ci ne sont plus que règles, parmi d'autres, d'un jeu avec l'image de la réalité.
2. La main du peintre
2.1. Le travail préliminaire
Selon une pratique qui prévaut durant de nombreux siècles, avant de tracer sur le fond préparé les grandes lignes de sa composition au charbon de saule ou au fusain et de raffermir le dessin à l'encre et au pinceau, le peintre a en général longuement travaillé son sujet. Les dessins préparatoires de détail, puis d'ensemble, sont considérés comme des étapes essentielles. La mise au carreau sur un carton à grandeur est le procédé le plus usité pour le transfert du dessin sur la toile. Mais les règles graduées, les compas, les fils à plomb, et des procédés plus complexes comme le cadre de bois tendu de fils croisés ou la chambre obscure, seront utilisés par tous les peintres, même les plus grands, tels Léonard de Vinci ou Dürer. Quelques artistes, comme Poussin ou Gainsborough, n'hésiteront pas à modeler des figurines pour mieux saisir les jeux d'ombre et de lumière. Enfin, dès son invention, la photographie sera perçue et utilisée par certains comme un précieux auxiliaire de travail.
Au xviie s., l'économie d'une étape – le passage direct du dessin préparatoire à la toile – entraîne la multiplication des « repentirs ». Le peintre, changeant d'idée, ne gratte pas ce qui ne lui plaît plus mais se contente de superposer les empâtements. Souvent, en vieillissant, la couche picturale s'usant ou la transparence s'accroissant, la première manière redevient visible. Elle peut également être mise en évidence en éclairant le tableau en lumière rasante, laquelle accuse les reliefs de la couche picturale.
2.2. La couche colorée
C'est sur le bois ou la toile préparés qu'est posée la couche colorée, qui se compose des pigments – lesquels peuvent être soit minéraux, soit organiques – et des liants. Depuis les primitifs jusqu'à la fin du xviie s., la palette des pigments reste réduite. À côté du blanc (de plomb, de zinc) et du noir (de charbon, de fumée), on ne rencontre que le bleu, le vert, le jaune et le rouge. Ce n'est qu'aux xviiie et xixe s. que les découvertes chimiques lui permettront de s'enrichir. Broyés à l'atelier par les apprentis, les pigments sont mélangés à des liants. Ceux-ci sont de quatre sortes : la cire, le liant aqueux, l'œuf et l'huile.
2.3. Le vernis
La couche picturale est protégée par un vernis. Jusqu'au xve s., une simple couche de blanc d'œuf est passée à la surface. Puis c'est un mélange d'huile et de résine qui sera utilisé pour protéger le tableau et intensifier la réflexion de la lumière.
Mais, en 1883, Huysmans loue les artistes du Salon des indépendants d'avoir abandonné l'emploi du vernis pour adopter le « système anglais », qui consiste à laisser la peinture mate et à la recouvrir d'un verre.
2.4. Les instruments
Le pinceau, en poils d'écureuil, de mangouste ou de martre, ou en soie, est l'instrument le plus important. Certains peintres, comme Léonard de Vinci, les fabriquaient eux-mêmes.
La brosse se distingue du pinceau en ce que ses poils, plus raides et plus gros, sont d'égale longueur, au lieu d'être effilés en pointe; en outre, la brosse est de forme plate et élargie. Le couteau à palette, ou spatule, est utilisé pour mélanger les couleurs sur la palette avant de les étendre sur la toile à l'aide du pinceau ou de la brosse, mais il est parfois employé pour peindre en pleine pâte.
2.5. Les techniques contemporaines
Si la toile, préparée ou non, reste d'un usage très répandu, tout matériau est aujourd'hui utilisé au fil des recherches comme support de la peinture : le bois, le papier, le métal, la tôle, le voile de Nylon, le béton. La rupture de la couche picturale avec la représentation du réel, ou du moins sa relation complexe et d'un type nouveau avec le réel, donne de nos jours à la peinture un nouveau statut au sein des arts. Désormais désinvestie d'un discours – politique, religieux, social ou esthétique –, elle n'existe que dans son rapport au peintre; image d'elle-même, trace du geste créateur, elle ne parle plus d'autre chose que de sa matérialité. Les soins minutieux portés pendant des siècles aux subtils mélanges et dosages des pigments et des liants sont oubliés. Mais le lien fondamental qui unissait la maîtrise technique et le pouvoir créatif demeure. La peinture acrylique connaît une faveur particulière pour ses multiples qualités : outre son faible coût, elle sèche rapidement, et permet ainsi l'application de couches successives en un temps réduit; elle se conserve bien et peut être appliquée sur de nombreux supports – la toile, le papier, le carton, le bois, l'enduit, le contreplaqué. Aussi remplace-t-elle avantageusement la gouache, l'huile ou la détrempe. Depuis son apparition, elle a été utilisée par de nombreux artistes tels les représentants de l'op art, les minimalistes ou les tenants du hard-edge.
3. L'espace pictural
3.1. Évolution du concept
L'espace pictural est étroitement lié à la fonction dévolue à la peinture. Lorsque celle-ci est purement décorative, elle forme avec l'espace dans lequel elle s'inscrit un ensemble homogène qui ne renvoie qu'à lui-même. La peinture narrative et symbolique des églises et des synagogues des premiers siècles de notre ère prend place sur leurs sols, leurs murs et leurs voûtes dans une sorte de topographie signifiante, mais l'organisation interne de son espace se fonde sur une juxtaposition et une superposition des scènes et des motifs étrangères à une véritable construction de l'espace pictural. Si la peinture murale – notamment à Pompéi – connaît un espace pictural engendré par le sujet et la composition faisant de chaque « tableau » une œuvre en soi, c'est véritablement avec la peinture de chevalet que naît cet espace pictural contraignant qui, tout en donnant l'illusion d'une fenêtre ouverte sur le monde, circonscrit le sujet et le coupe de son environnement. Le cadre devient dès lors l'élément indispensable d'une lecture correcte du tableau: de Poussin à Van Gogh, l'espace pictural se définit par sa bordure. Et Baudelaire pourra dire dans « Le cadre », un poème de Spleen et Idéal :
« Comme un beau cadre ajoute à la peinture,
Bien qu'elle soit d'un pinceau très vanté,
Je ne sais quoi d'étrange et d'enchanté
En l'isolant de l'immense nature. »
3.2. Redéfinition de l’espace pictural
L'effacement du cadre dit la complexité de l'espace pictural et annonce sa transgression. En effet, tant que la peinture est une mimêsis – une imitation – du monde, c'est le cadre qui garantit et fournit les repères séparant réalité et représentation. Le trompe-l'œil, qui fait sortir le motif et déborder le cadre pour donner l'illusion que le sujet appartient à l'espace du spectateur, ne transgresse la limite généralement imposée que pour mieux affirmer l'espace pictural. Cet espace strictement limité contient lui-même une mise en scène de l'espace qui est renforcée par l'unité locale et temporelle du sujet due à la composition tracée depuis un point de vue unique : la perspective linéaire.
Les avancées du xixe s.
C'est sans doute Degas qui, par des plans tronqués, des vues plongeantes, des personnages brutalement coupés par le cadre, redéfinit l'espace pictural. L'attention qu'il porte aux bordures, loin d'être une simple préoccupation d'esthète, révèle une conception nouvelle de la relation sujet-réalité.
Claude Monet va plus loin avec ses Nymphéas en représentant dans le format habituel des tableaux une étendue illimitée. La perception qu'en a Félix Fénéon fait du maître de Giverny un précurseur des recherches contemporaines : « Un paysage de M. Monet ne développe jamais intégralement un thème de nature et semble l'un quelconque des vingt rectangles que l'on taillerait dans une toile panoramique de cent mètres carrés. »
Diversité des expérimentations
Si Bonnard se dégage de la perspective pour retourner au plan (Nu dans le bain, 1937), ce sont les expériences cubistes – dont l'unique souci est l'espace – qui mènent à la rupture entre le réel et le tableau. Lorsque, en 1912, Picasso introduit un morceau de toile cirée pour figurer le cannage d'une chaise dans une toile, il inaugure une conception de l'espace pictural en rupture totale avec la représentation figurative et naturaliste de la Renaissance, fondée sur la perspective. Le collage, dont l'avatar ultime sera l'assemblage, fait éclater la notion de tableau comme surface plane. Dès lors, l'espace pictural peut être redéfini. « La toile n'est plus prise comme écran de projection, mais comme matériau », écrit Simon Hantaï en 1969 à propos des drippings de Jackson Pollock. L'espace pictural a éclaté, il est ouvert, affirmant du même coup le fait pictural comme ayant une existence en soi et non plus en référence à la réalité. Avec les murs peints et le land art, l'espace, ouvert et mis en scène, renoue avec la réalité, mais il n'est plus représenté, il est.
4. La peinture et l'écrit
4.1. Une tradition ancienne
Depuis l'Antiquité, la peinture a suscité deux types de littérature : des considérations esthétiques et philosophiques, dont le cœur est le problème de la mimêsis, c'est-à-dire la reproduction, l'imitation du réel ; et des recueils techniques, mêlant recettes et conseils. Jusqu'à la Renaissance italienne, la peinture est ainsi ravalée au rang des savoir-faire. On l'oppose volontiers à la poésie, pure création de l'esprit.
4.2. Écrits de la Renaissance
Si l'ouvrage de Cennino Cennini, Il libro dell'arte, paru en 1398, est essentiellement un guide de la technique picturale, le De pictura d'Alberti (1435) donne ses premières lettres de noblesse à la peinture. Toute cette période est fertile en ouvrages techniques : Valentin Boltz, Albrecht Dürer, Leonardo Fioravanti figurent parmi les auteurs les plus illustres. Mais, au xvie s., c'est certainement le Florentin Giorgio Vasari, peintre, architecte et collectionneur, qui, avec ses Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, écrit de 1542 à 1550, puis remanié en 1568, donne aux générations futures la plus importante source d'informations sur l'humanisme et l'art de son époque.
4.3. Développement de la critique
Jusqu'au xviie s., ce sont les peintres qui parlent publiquement de leur art, ou qui écrivent et publient dessus. Ainsi, Le Brun et Poussin alimentent par leurs jugements et leurs prises de position les querelles académiques. L'organisation des Salons et le développement d'un réseau culturel européen contribuent à l'apparition d'une critique artistique dans les milieux d'amateurs. Entre-temps, Diderot invente véritablement un nouveau genre littéraire, la critique de peinture, à travers ses Salons.
Créée en 1768, l'Académie anglaise devient le lieu d'un nouveau discours sur la peinture, jusque-là diffus. Analyse de la beauté, publié en 1753 par William Hogarth, est représentatif du climat intellectuel qui règne alors en Angleterre. Reynolds, dans les discours qu'il prononce devant les élèves de l'Académie dès 1769, y rend hommage à son rival, Gainsborough. Son influence, encore mal mesurée, sera très large : ses discours, traduits et publiés en italien, en français et en allemand, ont probablement contribué, avec l'œuvre des Allemands Anton Raphael Mengs et de Johann Joachim Winckelmann, à l'élaboration d'une certaine conception du « goût classique ».
La critique, initiée par Diderot, se développe largement au xixe s., au cours duquel le genre littéraire du « Salon » connaît chez Baudelaire son accomplissement. Parallèlement, la critique artistique journalistique n'est pas de reste : revues spécialisées puis rubriques artistiques accueillent des contributions plus ou moins éclairées d'écrivains ou d'hommes politiques, qui sentent que la peinture est devenue un enjeu moral et politique. Les peintres eux-mêmes se font plus discrets, s'exprimant à travers leur journal intime (Delacroix) ou leur correspondance (lettres de Van Gogh à son frère Théo). L'heure des manifestes n'a pas encore sonné.
4.4. Le temps des manifestes
Vers la fin du xixe s., puis au xxe s., l'innovation picturale s'accompagne d'un programme théorique et esthétique : manifestes du symbolisme, du réalisme, du Blaue Reiter, du Bauhaus, du De Stijl, du mouvement Cobra ou du nouveau réalisme.
Dans un renversement radical, alors que le sujet disparaît de la peinture – la toile devenant elle-même le sujet – s'est développé parallèlement le discours sur la peinture – à tel point que certaines œuvres contemporaines semblent ne pouvoir exister ou prendre sens sans un accompagnement discursif : le discours sur la peinture est devenu constitutif de la peinture elle-même.