Jan Van Eyck

Jan van Eyck, la Vierge du chancelier Rolin
Jan van Eyck, la Vierge du chancelier Rolin

Peintre flamand (Maaseik ? vers 1390 ?-Bruges 1441).

L'ÉNIGME HUBERT VAN EYCK

Le pluriel « les Van Eyck » est-il de mise ? Les controverses n'ont pas manqué. Hubert a été traité de « personnage de légende » par le collectionneur brugeois Émile Renders, et les arguments de ce dernier sont troublants. Certes, il a existé un Hubert Van Eyck. On admet qu'il fut peintre, mais était-il comme on l'a cru longtemps le frère aîné de Jan et son devancier ?

Sur le cadre de l'illustre polyptyque de Gand, l'Agneau mystique (cathédrale Saint-Bavon), le chef-d'œuvre et modèle de toute la peinture flamande du xve s., apparaît une inscription en vers latins (dont l'authenticité est discutée) indiquant que le retable, commencé par Hubert Van Eyck (1366 ?-1426), « plus grand que quiconque », et achevé par son frère Jan, fut consacré le 6 mai 1432. Quant au poème de Lucas de Heere (1534-1584) consacré à ce retable, il date de 1565, et aucun de ceux qui ont parlé des peintres flamands avant cette date, à commencer par Cyriaque d'Ancône (1391-1452), n'ont jamais fait mention d'Hubert. Des discussions, souvent passionnées, n'ont pas réussi à résoudre le problème.

Si l'on a pu réunir quelques détails biographiques sur Hubert Van Eyck, les œuvres qui lui furent attribuées ne relèvent que d'un ensemble de déductions et de conjectures. Jusqu'à nouvel ordre, et malgré le monument gantois élevé en l'honneur des deux frères, Jan est le seul dont une bonne partie de l'œuvre soit connue, libérée de toute hypothèse.

JAN VAN EYCK

Maître de l'école flamande de peinture à la Renaissance, Jan Van Eyck porta à son plus haut degré de spiritualité le tableau de dévotion. Attentif aux manifestations palpables de la vie, il exécuta aussi des portraits qui le placent au premier rang des artistes européens de sa génération.

1. De Gand à Bruges

Sans doute natif d'un village de la vallée de la Meuse, Jan Van Eyck révèle très tôt ses aptitudes au dessin. À la cour de Jean III de Bavière (1375-1425), futur comte de Hollande, il poursuit le travail d'enlumineur des frères de Limbourg pour les Très Riches Heures du duc de Berry (Livre des Heures de Milan-Turin). En 1425, il entre au service du duc de Bourgogne Philippe le Bon, comme « valet de chambre » disposant de prérogatives pécuniaires, et y reste toute sa vie. Chargé de missions secrètes, il fait partie, en 1428-1429, de l'ambassade qui se rend à Lisbonne pour négocier le mariage du duc avec Isabelle de Portugal (1397-1471) et réalise son portrait. Après avoir eu Lille pour résidence, il s'installe à Bruges, où il acquiert une maison en 1431 et où il mourra le 9 juillet 1441.

Dans le retable de l'Agneau mystique, il est difficile de déterminer les parts respectives de Jan et de celui qui serait son frère Hubert. Cependant, l'habileté avec laquelle le volume est traité dans les figures d'Adam et d'Ève suggère que celles-ci sont de la main de Jan ; les modifications intervenues au cours du travail (révélées par l'examen en laboratoire) indiquent une volonté de mieux rendre les effets de perspective et la réalité spatiale, ainsi que le jeu des lumières et des ombres.

2. La fervente iconographie mariale

Parmi les œuvres de Van Eyck qui ont été conservées, essentiellement des Vierges et des portraits, certaines sont datées avec précision (à partir de 1432) et portent sa signature, très élaborée et – fait exceptionnel pour un artiste – accompagnée de sa devise personnelle que l'on peut traduire par « Comme j'ai pu » ou « De mon mieux ». La Vierge du chancelier Rolin (ou Vierge au donateur, vers 1435, Louvre) lui est attribuée en raison de ses qualités. Les deux personnages, d'allure monumentale, se font face : d'un côté le chancelier agenouillé, de l'autre, la Vierge assise qui accueille son fils sur ses genoux comme sur un trône ; entre eux, l'espace s'ouvre sur un paysage urbain traversé par un large fleuve. Il en résulte une impression d'équilibre et d'ampleur remarquable. La Vierge au chanoine Van der Paele (1436, musée Groeninge, Bruges) atteint à un extrême raffinement dans le traitement des détails et des matières. Ces deux tableaux semblent avoir été destinés à la chapelle votive des donateurs (à Autun pour le premier, à Bruges pour le second).

On connaît d'autres Vierges de Van Eyck : celle de Dresde (1437), la Vierge à la fontaine d'Anvers (musée royal des Beaux-Arts, 1439), la Vierge dans une église de Berlin-Dahlem sont autant d'œuvres aux coloris somptueux, peintes avec infiniment de soin et d'attention. À Anvers également se trouve la Sainte Barbe (1437), exécutée seulement en grisaille et inachevée.

3. L'art suprême du portraitiste

De tous les portraits de Van Eyck, le plus original par sa composition est celui d'Arnolfini et sa femme (ou les Époux Arnolfini, 1434, National Gallery, Londres) ; son miroir convexe, qui reflète un pan supplémentaire de la réalité, deviendra un thème fréquent de la peinture flamande. Le peintre représente ses modèles avec minutie : ainsi le Cardinal Niccolò Albergati (1438, Kunsthistorisches Museum, Vienne), dont il existe à Dresde un dessin préparatoire annoté par lui-même.

Le Tymotheos (1432, National Gallery, Londres), que l'on identifie avec le musicien Gilles Binchois, offre un regard plein de vie. L'Homme au turban rouge (1433, ibid.), dont le visage émerge de l'ombre, et Marguerite Van Eyck, la femme du peintre (1439, musée Groeninge, Bruges), sont les premiers personnages de l'histoire de la peinture qui regardent le spectateur de face.

4. L'adoption de la peinture à l'huile

Van Eyck est le peintre auquel des textes des xve et xvie s. attribuent l'invention de la peinture à l'huile (obtenue en liant les pigments avec de l'huile, généralement de lin, au lieu d'eau). En fait, il aurait plutôt généralisé l'emploi d'un médium qui était déjà connu, et qui lui convenait pour parvenir à une traduction plus fluide de l'atmosphère et de la lumière. Sa méthode, très personnelle, semble fondée sur la superposition de couches picturales de nature différente, jouant entre elles par transparence.

Bien que la renommée de Van Eyck atteigne l'Italie et l'Espagne, son influence directe demeure limitée. Peut-être est-il trop moderne pour être compris de son temps, du moins dans les Flandres. Aussi n'aura-t-il qu'un seul véritable élève : Petrus Christus, actif à Bruges de 1444 à 1472. Sa vraie postérité est à chercher dans le Sud, chez Antonello da Messina en particulier.