Vincent Van Gogh
Peintre néerlandais (Groot Zundert, Brabant, 1853-Auvers-sur-Oise 1890).
Incarnant jusqu'à l'outrance le mythe du génie incompris de son vivant, tant ses œuvres furent ignorées en son temps et sont aujourd'hui parmi les plus recherchées au monde, Vincent Van Gogh tenta d'exorciser par la peinture le tumulte intérieur qui le minait. Ses recherches sur la forme et la couleur marquèrent durablement les avant-gardes à venir.
1. Un être en mal d'absolu
Fils de pasteur, Vincent Van Gogh porte le prénom d'un frère mort-né l'année précédant sa naissance. Quatre ans après sa naissance vient au monde un autre frère, Theodorus (1857-1891), qu'il appellera Théo – et qui, toute sa vie, le soutiendra moralement et financièrement.
Enfant instable mais doué pour le dessin, Vincent a parmi ses oncles le fondateur, à Paris, de la galerie d'art Goupil, qui compte de nombreuses succursales en Europe. Il est envoyé successivement dans la succursale de La Haye (1869), puis dans celles de Bruxelles et de Londres (1873-1876), pour faire son apprentissage du commerce de l'art. Par suite de déboires amoureux, il se réfugie dans le mysticisme et dans l'écriture de lettres à Théo qui seront un exutoire aux troubles de son âme.
Après un bref séjour à Paris, Van Gogh retourne à Londres et devient instituteur dans le quartier ouvrier d'Isleworth. Il sent naître en lui une vraie vocation religieuse, qui le conduit à vouloir évangéliser les mineurs du Borinage, en Belgique. Le zèle qu'il déploie alors heurte les autorités ecclésiastiques, qui y mettent un terme au bout d'un an (1879). Après plusieurs années d'errance solitaire, la peinture va prendre le pas sur la prédication.
2. Les premières influences esthétiques
Inconditionnel de Jean-François Millet, Van Gogh se livre à l'étude des paysages et des scènes paysannes, dont on retrouve trace lorsqu'il aborde la peinture à l'huile, en 1882, sur les conseils de son cousin par alliance, Anton Mauve (1838-1888).
À Nuenen, près d'Eindhoven, où il vit pendant près de deux ans (décembre 1883-novembre 1885), il se familiarise avec le réalisme hollandais (les Mangeurs de pommes de terre, 1885). Il s'installe ensuite à Anvers, pour y suivre les cours de l'École des beaux-arts et découvre l'œuvre de Petrus Paulus Rubens. Mais, rebuté par l'enseignement qu'on lui dispense, il repart en février 1886 et rejoint à Paris son frère, qui l'héberge dans un atelier de Montmartre.
3. La féconde expérience parisienne
Van Gogh fréquente le milieu des peintres impressionnistes et néo-impressionnistes (Camille Pissarro, Paul Gauguin, Paul Signac). Entré dans l'atelier de Cormon (1845-1924), il se lie avec Émile Bernard et Henri de Toulouse-Lautrec, qui exerceront sur lui une nette influence. Les trois amis organisent une première exposition en 1887. Ils ne vendent aucune toile, mais ils savent que leur heure n'est pas encore venue.
4. La prééminence de la couleur
Au contact de Gauguin, mais aussi sous l'influence des estampes japonaises, Van Gogh affine ses recherches sur la couleur ; sa palette s'éclaircit et se diversifie, sa facture s'assouplit, donnant lieu à des expérimentations sur des natures mortes, des paysages et des portraits (le Père Tanguy, 1887). Pour parfaire son travail, il lui faut trouver des ciels autres que ceux de Paris. C'est alors qu'il part s'installer à Arles, en février 1888.
Ébloui par la lumière du Midi, Van Gogh va faire de la couleur l'objet même de son œuvre, et non plus une composante de celle-ci. Il recherche la plus grande intensité possible à la fois des tons (tels les jaunes de la série des Tournesols) et des rapports chromatiques (jaune/bleu, jaune/vert, bleu/vert, rouge/vert) : fleurs (Pêcher en fleur, « souvenir de Mauve », 1888), paysages (la Plaine de la Crau avec la ruine de Montmajour, id.), intérieurs (le Café de nuit, id.), portraits (la Mousmée dans le fauteuil, id.) sont chargés d'une grande expressivité.
5. La Provence du paroxysme
Vivant seul parmi des Arlésiens qui se méfient de cet étranger original, Van Gogh s'abîme dans la dépression. Pourtant, il n'a pas abandonné son rêve de constituer une communauté de peintres. Il finit par décider Gauguin à venir le rejoindre. Le maître de Pont-Aven arrive à Arles en novembre 1888 et s'installe dans la « Maison jaune » – l'atelier de son hôte.
Mais il ne supporte pas le caractère cyclothymique de celui-ci et, le soir du 23 décembre 1888, après une dispute plus violente que les précédentes, il part à l'hôtel. C'est peu après que Van Gogh se saisit d'un couteau et se tranche une partie de l'oreille gauche, qu'il va ensuite porter à une prostituée. Deux autoportraits témoigneront de ce geste.
Admis à l'asile de Saint-Rémy-de-Provence, où il demeure un an (mai 1889-mai 1890), Van Gogh s'adonne à une peinture où l'allongement de la touche et la torsion des formes traduisent la force de ses tourments (Nuit étoilée [Cyprès et village] 1889). Dès sa sortie, il devra quitter Arles sous la pression des habitants, qu'il effraie.
6. Près du docteur ami des peintres
Terriblement affaibli, Van Gogh accepte de se rendre à Auvers-sur-Oise, où réside le Dr Paul Gachet.
Médecin, mais aussi amateur d'art et lui-même peintre à ses heures, Gachet est l'ami de Paul Cézanne, d' Édouard Manet, d'Auguste Renoir, d'Edgar Degas. Par l'intermédiaire de Théo Van Gogh, il a connaissance du travail de Vincent, dont il pressent aussitôt l'importance, en même temps que sa maladie. Dès lors, il n'a de cesse de le faire venir à Auvers-sur-Oise, soulevant les critiques – infondées à l'époque – de ceux qui lui reprochent d'agir par intérêt.
Une réelle amitié se noue entre les deux hommes. Gachet réussit à instaurer autour de Van Gogh un climat de confiance dont l'effet est bénéfique. Le peintre réalise un premier portrait de son bienfaiteur, qui, rempli d'admiration, lui en commande un second. Pour la première fois de sa vie, peut-être, Van Gogh a conscience que son talent est reconnu et son art compris par un homme de qualité.
7. L'ultime étape d'Auvers-sur-Oise
Reprenant ses pinceaux, il passe des journées entières devant son chevalet et exécute alors plusieurs de ses œuvres maîtresses : l'Église d'Auvers-sur-Oise, vue du chevet (1890), Chaumes de Cordeville (id.), Champ de blé aux corbeaux (id.). La couleur, là encore, est capitale, mais elle s'assombrit, et les formes se font plus torturées, comme l'esprit du peintre. Son mal intérieur est le plus fort : « Il y a quelque chose au-dedans de moi : qu'est-ce donc ? » cherche-t-il désespérément à savoir. Il ne profite qu'à peine trois mois de l'aide que Gachet peut lui apporter, finissant par se disputer aussi avec ce dernier.
Le 27 juillet 1890, au cours d'une promenade, Van Gogh se tire une balle en pleine poitrine et, malgré les soins de Gachet, expire deux jours plus tard. Ainsi disparaît, dans un quasi anonymat, un artiste qui aura signé plus de huit cents toiles, mais qui, de son vivant, n'en aura vendu qu'une seule, la Vigne rouge, achetée à Bruxelles en 1890.
8. Citations
« On dit, et je le crois volontiers, qu'il est difficile de se connaître soi-même. Mais il n'est pas non plus aisé de se peindre soi-même. »
Vincent Van Gogh (Lettres à son frère Théo) ; malgré cette assertion, le peintre exécuta, à partir de 1886, pas moins de trente-cinq autoportraits, espérant sans doute par là trouver sa propre identité.
« Il avait absorbé la nature en lui ; il l'avait forcée à s'assouplir, à se mouler aux formes de sa pensée, à le suivre dans ses envolées, à subir même ses déformations si caractéristiques. Van Gogh a eu, à un degré rare, ce par quoi un homme se différencie d'un autre : le style. »
Octave Mirbeau, dans un article de l'Écho de Paris publié huit mois après la mort de Van Gogh (31 mars 1891).
« Il avait raison, Van Gogh, on peut vivre pour l'infini, ne se satisfaire que d'infini, il y a assez d'infini sur la terre et dans les sphères pour rassasier mille grands génies. »
Antonin Artaud (Van Gogh, le suicidé de la société)