le classicisme en littérature
1. À l'origine du classicisme
1.1. Définition de la notion
Comme tous les termes généraux qui sont d'autant plus vagues qu'ils nous sont familiers, il est malaisé d'élucider ce que recouvre la notion de classicisme. Pour l'opinion commune, serait « classique » toute œuvre grande et belle qui aurait passé l'épreuve des ans, toute œuvre qui présenterait un caractère esthétique manifeste et confirmé par le jugement des siècles.
Mais, à ce compte, n'importe laquelle des plus admirables productions de l'esprit humain serait classique : à divers titres, les œuvres de Shakespeare, de Dante, de Dostoïevski en seraient les exemples les plus probants, tout comme celles des meilleurs écrivains dits « romantiques » (→ le romantisme en littérature).
Accorder l'appelation de « classicisme » à la seule beauté reconnue et éprouvée par le temps conduit ainsi vers des contradictions et des confusions. Si l'on cherche à cerner la notion de plus près, on s'aperçoit que, pour nombre d'œuvres, il vaut mieux parler de « tradition classique ». Cela induit que ces œuvres sont belles en soi, que l'histoire a approuvé le jugement des contemporains, mais qu'elles offrent aussi les signes évidents de la mesure, de la discrétion – toutes qualités appuyées par la pureté de l'expression.
En ce sens, le classicisme serait alors la traduction fine et nuancée de sentiments éternels transposés par la perfection d'un art.
À cela, il faut ajouter le sens de la rigueur et de l'ordonnance, ce qui implique un réflexe de méfiance à l'égard de tout ce qui est instinctif, primaire et non contrôlé.
1.2. L'expression d'une civilisation forte
Si l'on part de la signification première du mot, est « classique » l'auteur lu dans les classes, c'est-à-dire l'écrivain commenté dans les collèges et dans les lycées. C'est ainsi que, pour le xviiie siècle français, les auteurs classiques sont ceux qui apparaissent aux nouvelles générations littéraires comme des modèles à suivre : Voltaire sera le premier à affirmer son attachement à l'idéal du siècle de Louis XIV.
Cette limitation dans le temps de la notion de classicisme sera confirmée un siècle plus tard, au xixe siècle, lorsque les écrivains romantiques mettront en évidence ce qui les oppose au Grand Siècle – le xviie – et à sa conception de l'œuvre d'art.
Le siècle de Louis XIV
Ni les écrivains du xviiie ni ceux du xixe siècles ne se trompent quand ils situent le classicisme sous Louis XIV. Au sens strict, le classicisme représente bien la période de la littérature et de l'art français qui s'étend de 1661 à 1685, ce qui correspond à la toute-puissance de la monarchie absolue. Il n'est pas indifférent de remarquer que ce phénomène est simultané à un moment de l'histoire où le gouvernement est à l'apogée de sa puissance. De même que la gloire de Louis XIV est l'aboutissement de la lente évolution de la monarchie sous Henri IV, puis sous Louis XIII, le classicisme est le point de confluence de réflexions d'écrivains occupés par des convictions morales et esthétiques communes.
En France
L'apparition du classicisme n'est pas le fait du hasard. Elle est le produit de la nécessité, la manifestation de cette logique interne qui veut que du désordre et des incertitudes naisse une expression cohérente, et dont la magnificence est la réplique de la force éclatante du gouvernement qui la voit naître.
Le philosophe allemand Nietzsche pensait que toute civilisation aristocratique a pour conséquence l'épanouissement d'un certain degré de classicisme. Sa présence est, selon lui, liée à une époque de pouvoir absolu : quand une civilisation est forte, à mesure qu'elle s'affirme, elle va vers le classicisme. En revanche, lorsqu'elle est insatisfaite et cherche à se renouveler, elle glisse vers le baroque en donnant la primauté à la liberté et à la sensibilité.
Et ailleurs ?
Mais le classicisme est-il un phénomène uniquement français ? Concrètement, ses incidences étrangères sont peu nombreuses. Il n'est guère possible de parler d'un classicisme européen, mais plutôt d'un ajustement de l'idéal de la France aux aspirations nationales de quelques pays.
L'influence française n'est pas négligeable en Italie et en Espagne, mais rares sont les chefs-d'œuvre qu'elle y a suscités. Certes l'Angleterre a vu Dryden, puis Addison et Pope, certes l'Allemagne a donné Wieland, mais il s'agit là d'auteurs originaux qui ont plus ou moins assimilé les canons de l'esthétique française en fonction des exigences de leur sol natal. L'éclat de ces auteurs isolés est bien moins vif que celui des écrivains qui vécurent en France sous le règne de Louis XIV.
1.3. Les précurseurs et la recherche de règles
L'idéal proposé par le classicisme ne date pas de la seconde moitié du xviie siècle. Il avait été préparé par la génération précédente, notamment par Jean Chapelain, l'abbé d'Aubignac et Guez de Balzac. De cette première moitié du xviie siècle date en effet la règle de se référer à l'usage pour fixer les points de grammaire, cet usage étant d'ailleurs celui d'une certaine élite.
En 1635, Richelieu fonde l'Académie française, dont les quarante membres sont chargés d'introduire l'ordre dans la langue et dans la littérature par le moyen d'un dictionnaire, d'une grammaire et d'une poétique (traité de versification et de poésie). En 1647, les Remarques sur la langue française de Vaugelas codifient le bon langage. De leur côté, Chapelain, Guez de Balzac et Voiture (dans ses Lettres) prônent la clarté fondée sur la raison.
À cette époque, les Académiciens peuvent déjà se référer à des œuvres. Honoré d'Urfé (1568-1625) a composé son roman l'Astrée (1607-1619), dont la prose élégante et discrète est déjà classique. Mainard (1582-1646) et Racan (1589-1670) ont entendu les leçons de Malherbe. Descartes écrit le Discours de la méthode (1637) et le Traité des passions (1649). Guez de Balzac, toujours, avec ses Lettres et ses essais critiques et politiques (Prince, 1631 ; le Socrate chrétien, 1652), a joué un rôle capital dans la constitution de la prose classique. Mairet (1604-1686), dans sa préface de Silvanire (1629), défend les règles énoncées par Aristote dans la Poétique, et, avec Sophonisbe (1634), il donne la première tragédie qui respecte la règle des trois unités (de temps, de lieu, d'action).
Mais c'est surtout trois ans plus tard, en 1637, que Corneille annonce le théâtre classique : le Cid est une pièce conçue comme une étude psychologique exposant un conflit des passions et de la volonté.
2. Les grands auteurs classiques et les principes du classicisme
Quels sont les grands écrivains du classicisme ? On pense avant tout à Molière, à Racine, à Boileau, à La Fontaine et à Bossuet, auteurs dits « classiques » par excellence, même s'ils ne sont pas les seuls. Ces écrivains ont laissé à la postérité un certain nombre de textes théoriques – textes qui, dans la seconde moitié du xviie siècle, tendent tous vers un idéal moral et esthétique identique.
2.1. Une vision esthétique et morale
Cette communauté de goût, qui aboutit au remarquable essor de la prose et de la poésie françaises, s'exprime dans quelques grands principes qui fixent les caractères généraux du classicisme. Boileau s'en fait l'écho en 1674 dans son Art poétique.
L'imitation des Anciens
D'abord, tous les écrivains classiques sont d'accord pour prôner l'imitation des Anciens, c'est-à-dire l'imitation des thèmes abordés par les écrivains de l'Antiquité gréco-latine : « On s'égare en voulant tenir d'autres chemins », comme l'indique La Fontaine. Ainsi, toutes les pièces de Racine, sauf Bajazet (1672), puisent leur matière dans l'Antiquité.
La maîtrise de la nature et de l'âme
Ensuite, si « la principale règle est de plaire et de toucher » (Racine, préface de Bérénice, 1670) – règle érigée en loi par La Fontaine et par Molière –, on ne peut toutefois y parvenir qu'en restant soucieux de la vérité et du naturel, et, inversement, en se détournant du singulier et de l'exceptionnel. Ainsi, il s'agit de suivre la nature : « Lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature » (Molière, la Critique de l'École des femmes, 1663). Il s'agit aussi de chercher l'homme permanent et éternel par-delà les particularités, dans une constante quête de la vraisemblance : « Il n'y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie » (Racine, préface de Bérénice, 1670).
Il importe également de se rendre maître, pour reprendre les mots de Nietzsche, du « chaos intérieur » pour le « forcer à prendre forme », d'éviter de donner libre cours au délire de la raison, quelles que soient les troublantes zones d'ombre que l'auteur porte en lui. On préférera à ces excès des « pensées vraies et des expressions justes » (Boileau, préface de l', 1674) : elles visent à donner de l'homme une idée inaltérable et purifiée, en dépit des contradictions de l'âme.
Aucune envolée de l'imagination, nul dérèglement, nulle fabulation ne sont donc recherchés. Ce qui est privilégié, c'est une « action simple chargée de peu de matière », puisque « toute l'invention réside à faire quelque chose de rien » (Racine, préface de Bérénice, 1670).
L'ordre et la clarté, l'équilibre et la perfection, l'analyse et la vérité, la raison et la vraisemblance sont les valeurs du classicisme.
La recherche du beau absolu et du bien
Enfin, cette discipline et cette éloquence sont inséparables de la certitude qu'il existe un beau absolu. Lorsque La Bruyère écrit qu'« il y a dans l'art un point de perfection […] », il se fait l'interprète de tous les écrivains du temps : plus que des auteurs, ils se veulent des artistes. Mais cet amour de la beauté est autre chose que le goût d'un pur plaisir esthétique. De là une avidité pour le métier d'écrire avec une application soutenue, une sorte de culte du travail bien fait : bénies soient les règles qui contraignent le créateur ; les difficultés ne brisent l'élan que de ceux qui manquent de souffle.
Cependant, si quelque obscure et inconsciente raison attire les écrivains vers ce beau absolu, vers cette peine et ce labeur d'écrire, il ne faut pas oublier que cette ascèse se propose aussi un autre but : rendre l'homme meilleur. Siècle moralisateur qui se passionne pour la querelle entre les jansénistes et les jésuites, le xviie siècle ne conçoit l'analyse morale – si intimement mêlée à son art – que comme une tentative pour parfaire les individus.
Le beau va donc de pair avec le bien : « L'éloquence n'est inspirée d'en haut que pour enflammer les hommes à la vertu » (Bossuet, Discours à l'Académie, 1671).
2.2. Un magnifique désordre aussi
Les grands principes du classicisme étant ainsi définis, il reste à savoir si, d'une part, ils coïncident avec la totalité des œuvres inscrites entre 1661 et 1685 (La Bruyère et Fénelon sont déjà des écrivains qui amorcent le xviiie siècle), et si, d'autre part, les plus parfaits classiques ne s'en affranchissent pas.
L'idéal formulé par Boileau dans son (1674) ne livre qu'une image partielle de l'époque. En effet, il est difficile de tenir pour classiques le Roman bourgeois de Furetière (1666) et, à plus forte raison, les Lettres portugaises (1669), qui s'écartent singulièrement des canons esthétiques et moraux respectés par la Princesse de Clèves (1678) de Madame de La Fayette. Par ailleurs, où situer le cardinal de Retz, qui rédige ses Mémoires à partir de 1675, soit à l'apogée du classicisme ? Sans doute s'agit-il d'un de ces auteurs « irréguliers » venus troubler par son génie l'horizon classique...
Pour ce qui est des écrivains dits « classiques », il est aisé de voir qu'ils ont aussi parfois des élans qui les arrachent à leur siècle. En effet, on trouve le « romantisme des classiques » aussi bien dans les envolées lyriques de Bossuet que dans les impressions fraîches et spontanées de Mme de Sévigné devant la nature, quand ce n'est pas dans certaines familiarités des vers de La Fontaine.
Et que dire de Racine ? Il faut ici considérer la disposition selon laquelle sont agencés les éléments constitutifs de ses pièces en rapport avec les sujets, les passions dont elles se font l'écho. Or, la magnifique ordonnance des tragédies de Racine masque mal un magnifique désordre, le désordre même de la vie. Mais pour reprendre les mots de Charles Péguy : « Ordonnance ne veut pas dire ordre ». Ou encore cette phrase qui s'applique si exactement à Phèdre (1677) : « Cette impeccable ordonnance, loin d'être toujours un ordre, recouvre souvent les pires désordres […]. »
Ainsi, le décalage entre la profession de foi exprimée dans les textes théoriques et la création étant inévitable, aucune œuvre du classicisme français n'est jamais si pure qu'elle voudrait l'être.
3. L'idéal classique
Parce qu'ils voyaient dans le xviie siècle littéraire français la plus haute expression de l'art, plusieurs écrivains du xxe siècle ont essayé d'élucider ce qu'était le classicisme. Ainsi Gide, Valéry, Claudel et Maurras se sont penchés sur sa nature pour tenter d'en dégager le caractère fondamental.
3.1. Harmonie et discipline
D'abord, pour tout artiste classique, une souveraine modestie s'impose. Le classicisme implique dépouillement et humilité devant l'œuvre, dépouillement qui signifie que l'écrivain est moins sûr d'apporter des certitudes que des promesses de certitudes. Il s'agit moins pour lui de faire quelque chose de beau – l'art pour l'art est en contradiction totale avec les buts ultimes de l'écrivain classique – que d'exprimer ce « grand paquet de choses vivantes » dont parle Claudel, de façon à trouver un parfait accord entre ce que l'on veut dire et la manière dont on le dit.
Le classicisme, « art de pudeur et de modestie » comme le dit Gide, est la recherche d'une harmonie entre la pensée et le langage. Être classique, c'est « faire plaisir à cet habitant intérieur que nous logeons en nous » (Claudel), c'est avant tout exprimer simplement les mouvements du cœur dans leur complexité. Cet « habitant intérieur » est un être agité par toutes les folies, tous les désirs, tous les dérèglements. Les écrivains romantiques se sont appliqués à donner toute liberté à ces élans incontrôlés. Au contraire, l'auteur classique vise à discipliner ces forces de passion ou de délire. Il vise au suprême dépouillement en vue d'être aussi vrai que la vie. Il veut le « triomphe de l'ordre et de la mesure sur le romantisme intérieur », pour reprendre les termes de Gide. Un « romantisme dompté », ce qui veut dire qu'il y a un effort constant vers la maîtrise.
Toutefois, il ne s'agit pas pour l'auteur classique d'élaborer un univers clos et figé, dont les limites seraient nettes et précises. Loin de là, l'œuvre classique s'applique tout entière à suggérer ce qu'elle refuse de dire. Elle est essentiellement « l'art d'exprimer le plus en disant le moins » (Gide), un art de la suggestion qui tend vers la persistance d'une émotion, aussitôt le rideau baissé, le livre fermé.
3.2. Ordre et permanence
On a remarqué que les auteurs romantiques recherchaient l'infini, alors que les écrivains classiques tendaient vers la perfection. Ce goût de la perfection oblige à l'ordre, à un ordre radical de l'œuvre dans ce qu'elle a de plus intime. Tout ce que la vie présente d'inachevé, d'incohérent, l'artiste doit, grâce à l'art, l'organiser. « L'essence du classique est de venir après. L'ordre suppose un certain désordre qu'il vient réduire » (Valéry). Tout le classicisme n'est qu'une longue tentative vers la simplification, un effort pour structurer et régler une confusion fondamentale.
Mais pourquoi cette impérieuse exigence ? Pourquoi cette contrainte ? Quelle force obscure pousse l'écrivain classique à réglementer ce qui n'est apparemment que trouble et bouleversement ? C'est qu'il a senti et cru que l'essentiel était la mise en évidence d'une permanence : c'est-à-dire qu'il entend extraire le durable de l'éphémère, et découvrir l'homme éternel à travers les individus. Car l'homme est bien l'objet de son étude, l'homme de toujours, dont le caractère profond est immuable depuis l'origine des temps. Aussi, peu importe l'accidentel, le particulier ; ce qui compte, c'est le général.
4. Grandeur et limites du classicisme
« Les meilleurs livres sont ceux que ceux qui les lisent croient qu'ils auraient pu faire. » Tout ce que la notion de classicisme recouvre est dans cette phrase de Pascal. Être classique, pour le lecteur, c'est avoir l'illusion qu'un chef-d'œuvre coïncide si exactement avec son propre paysage intérieur qu'il paraisse venu de lui. Mais une question se pose : l'œuvre classique, si pleinement riche par son pouvoir de suggestion, par les résonances qu'elle suscite, satisfait-elle totalement ? Et satisfait-elle tout le monde ? Car de quel lecteur, de quel spectateur s'agit-il ?
Nietzsche avançait que l'œuvre classique offre une certaine perspective de civilisation à une très petite minorité de la population, et que son origine aristocratique l'éloigne du plus grand nombre. S'il a raison, alors on peut douter qu'une œuvre classique soit aussi réussie qu'elle le veut si elle n'est réservée qu'à quelques-uns. Et, à force de refuser ce qui est « compliqué, incertain, flottant, mystérieux », à force d'« imposer aux prétentions brutales des couleurs, des sons et des formes, la loi d'une intellectualité raffinée et claire », elle passe parfois à côté de l'homme, en dépit de sa volonté d'en exprimer l'essence.
Ainsi, par la faute de cette « froideur », de cette « lucidité », de cette « dureté », de ce « besoin d'éternisation » de cet « art d'apothéose » (ce sont toujours les termes de Nietzsche), le classicisme français, « ordonnateur, hautain envers l'animalité, sévère pour le cœur, désagréable, sans bonhomie, hostile au burlesque, généralisateur, volontaire », porterait dans sa perfection même les germes de son déclin. Un déclin intimement lié à celui, parallèle, du pouvoir monarchique, auquel l'effervescence philosophique et scientifique des Lumières et la radicalité de la Révolution française porteront un coup fatal.