conte
(de conter)
Récit, en général assez court, de faits imaginaires.
LE CONTE LITTÉRAIRE
Le conte est une narration, généralement courte, ayant pour sujet des aventures imaginaires ou fantastiques. Le conte littéraire dérive directement du conte populaire, mais à la différence de ce dernier qui appartient à la littérature orale et reste le plus souvent anonyme, il est le fruit d'une véritable création littéraire et peut donc être facilement rattaché à un auteur, à une époque ou encore à mouvement. Parce qu'il entretient des liens étroits avec la littérature orale, parce qu'il a longtemps été considéré comme genre secondaire et peu sérieux, et enfin, parce qu'il semble parfois se confondre avec d'autres formes proches comme la nouvelle ou la fable, le conte est un genre difficile à cerner. Il a néanmoins connu une assez bonne fortune littéraire et nombreux sont les auteurs qui se sont laissés tenter par cette forme narrative. Ainsi, tout au long de l'histoire littéraire, le conte s'est développé sous des formes multiples (du conte de fées au conte fantastique en passant par le conte philosophique) et s'est répandu dans toutes les littératures. Cette diversité, si elle rend complexe toute tentative de définition du conte en tant que genre littéraire, témoigne paradoxalement de toute sa richesse.
Petite histoire du conte
On a conservé la trace de certains récits pouvant être assimilés à des contes dans les littératures antiques ; le meilleur exemple est sans doute les Métamorphoses ou l'Âne d'or du Latin Apulée. Si le Moyen Âge semble préférer les récits satiriques dérivant du fabliau, quelques ouvrages médiévaux eurent néanmoins une influence décisive sur le développement du conte : Chaucer, avec les Contes de Cantorbéry (1340-1400) et Boccace, avec le Décaméron (1348-1353), sont, en Europe, parmi les premiers écrivains à intégrer dans leurs récits des éléments populaires jusque-là transmis oralement. Mais le conte ne devient un genre littéraire à proprement parler qu'à partir de la fin xviie siècle. C'est du moins à cette époque qu'il se fixe par écrit et pénètre la littérature : en donnant une transcription écrite des contes populaires, Charles Perrault a créé ce que l'on appelle depuis le conte de fées. En outre, tout comme la maxime et le portrait, le conte fait partie de ces genres littéraires mis en vogue par les sociétés de salon qui avaient coutume de le pratiquer en tant que divertissement littéraire. En 1694, le mot entre dans le Dictionnaire de l'Académie, avec la définition suivante : « récit de quelque aventure, soit vraie, soit fabuleuse, soit sérieuse ».
Le xviiie siècle correspond à l'âge d'or du conte. Empruntant au conte populaire son cadre intemporel et utopique, les auteurs jouent sur ses ressources allégoriques pour transmettre un message politique ou moral. C'est le but des contes philosophiques de Voltaire (Zadig, Micromégas, Candide, etc.), du Conte du Tonneau (1704) de Jonathan Swift ou encore des Contes moraux (1760) de Jean-François Marmontel. C'est aussi à cette époque qu'apparaissent les premiers contes fantastiques, notamment avec Jacques Cazotte et le Diable amoureux (1772) ; ils connaîtront leur véritable essor au siècle suivant.
C'est à l'époque romantique, et principalement en Allemagne, que le conte fut adopté comme modèle littéraire et considéré comme un genre à part entière. Les Contes fantastiques d'E. T. A. Hoffmann, les Contes bizarres d'Achim von Arnim et les Contes des frères Grimm ressuscitent le merveilleux des contes populaires. Nombreux sont les écrivains qui adoptent la forme du conte pour renouer avec la tradition orale : Charles Dickens publie, à partir de 1843, ses Contes de Noël, Hans Christian Andersen ses Contes et ses Nouveaux Contes (1835-1872), Alphonse Daudet ses Contes du lundi (1873), Émile Zola ses Contes à Ninon (1864), Honoré de Balzac donne ses Contes drolatiques (1855) hérités de Rabelais, Alfred de Musset ses Contes d'Espagne et d'Italie (1829), Charles Nodier la Fée aux miettes (1832). De grands stylistes comme Gustave Flaubert (Trois Contes, 1877) et Auguste Villiers de l'Isle-Adam (Contes cruels, 1883) parviennent, dans l'espace limité imposé à ce genre, à une grande concentration dramatique.
Au xxe siècle, tandis que la plupart des écrivains négligent cette forme narrative, Italo Calvino retrouve la saveur des contes facétieux avec le Baron perché (1957), Jorge Luis Borges livre les contes labyrinthiques de Fictions (1944), Marcel Aymé adresse aux enfants « de quatre à soixante-quinze ans » ses Contes du chat perché (1934) et Jacques Prévert ses Contes pour enfants pas sages (1977). Parallèlement, on voit fleurir sur le marché de l'édition pour la jeunesse une quantité surprenante d'ouvrages illustrés de contes pour enfants.
Caractéristiques du conte
La plupart des contes littéraires reprennent le schéma qui était celui des contes populaires.
L'univers du conte
Le conte est un récit bref dont l'action, toujours relatée au passé, se situe dans un univers différent du monde réel. Le récit repose explicitement sur le caractère fictif de l'intrigue, ancrée dans l'imaginaire, le merveilleux, le surnaturel, l'invraisemblable. Le conte joue sans cesse sur les contrastes ; il plonge le lecteur dans un monde manichéen où les bons s'opposent aux méchants, où les forces du Bien luttent contre les manifestations du Mal, où tout est poussé à l'extrême. Les personnages sont assimilables à des pantins ; ils correspondent à des types caractérisés par un trait dominant et sont dépourvus de toute profondeur psychologique. Ainsi, l'accent est mis en priorité sur les situations au détriment de la psychologie.
Structure du conte
La structure du conte doit être simple : le récit est linéaire et s'appuie principalement sur l'enchaînement de nombreuses péripéties. L'intrigue se construit presque toujours sur le même schéma narratif : un monde ordonné bascule par l'introduction d'un élément perturbateur. L'objectif sera donc de retrouver l'équilibre perdu par le biais d'aventures réparatrices, dont le ou les héros tireront un enseignement. Le rôle didactique du conte représente donc une dimension essentielle.
Le conte évolue dans un espace clos, souvent renforcé la présence d'un narrateur conteur, qui, en maître de l'histoire, donne le signal de départ et indique clairement la fin. Le récit est encadré par des formules plus ou moins figées qui ouvrent et concluent le conte ; ainsi, l'incipit traditionnel se fait sur des phrases toutes faites, qui reviennent d'une histoire à l'autre, comme la fameuse expression : « Il était une fois... ». De même, la narration se termine très explicitement par une phrase de clôture (du type, « Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants ») parfois suivie de quelques lignes énonçant la morale du récit. Ces tournures d'introduction et de conclusion permettent de situer le conte à un autre niveau du discours, celui de l'imaginaire et du symbolique.
La signification du conte
Le conte est porteur d'une symbolique forte qui contraste avec la simplicité du ton de la narration, la structure schématique des personnages, et l'aspect souvent naïf des aventures qu'ils vivent. Cette simplicité de construction vise à rendre plus claire l'interprétation ; de la même manière, la brièveté du récit appuie son efficacité. Pourtant, au-delà de ce premier message plus ou moins évident à saisir, le conte renferme parfois d'autres sens cachés, autorisant ainsi plusieurs niveaux de lecture.
Un genre aux frontières floues
Dans la tradition populaire, le conte, la légende et le mythe semblaient souvent si liés qu'il était parfois difficile de les distinguer. Dans sa forme littéraire, le conte a hérité de cette ambiguïté et tend à se confondre avec d'autres genres narratifs brefs comme la nouvelle et la fable.
Le conte et la nouvelle
Proche du conte par sa brièveté, la nouvelle s'en distingue par l'univers romanesque qu'elle met en scène : à la différence du conte qui se situe d'emblée dans le domaine du fictif, de l'imaginaire, du merveilleux, la nouvelle dépeint un monde réel, qui l'assimile à un court roman. Si la psychologie des personnages est moins approfondie dans la nouvelle que dans le roman, les protagonistes de la nouvelle ne se réduisent pas, comme ceux du conte, à de simples stéréotypes : ils sont de véritables individus. L'exigence de vraisemblance avec laquelle Guy de Maupassant compose ses nouvelles est à cet égard très représentative : l’héroïne de Boule-de-suif ne déborde-t-elle pas d'humanité ?
Pourtant, beaucoup d'œuvres littéraires montrent que cette distinction est bien souvent loin d'être aussi évidente et il est fréquent de se heurter à quelques difficultés si l'on tente de classer certaines œuvres dans l'une ou l'autre des catégories : le Diable amoureux de Jacques Cazotte et la Vénus d'Ille de Prosper Mérimée sont-ils des contes ou des nouvelles fantastiques ? Il n'est pas rare d'ailleurs de voir les deux genres regroupés dans un même recueil, des Contes et Nouvelles de Jean de La Fontaine à ceux de Guy de Maupassant. De la même manière, Auguste Villiers de l'Isle-Adam publie sous le titre de Contes cruels un recueil dont la plupart des textes sont en fait des nouvelles.
Ce flottement terminologique est surtout sensible à partir du xixe siècle, époque à partir de laquelle les deux mots semblent être employés indifféremment pour parler de brefs récits en prose. La plupart des publications de ce type paraissent alors sous le nom de « nouvelle », le terme de « conte » se recentrant sur ses origines populaires, orales et collectives (contes de fées, contes de Noël, contes pour enfant).
Le conte et la fable
La proximité du conte et de la fable résulte de leur objectif commun : ils visent tous les deux à instruire et à distraire. Aussi comptent-ils un certain nombre de similitudes : ils sont courts et s'appuient sur la narration (le plus souvent en vers pour la fable, le plus souvent en prose pour le conte) d'une histoire derrière laquelle se cache un enseignement. Par ailleurs, les deux genres font tous deux appel au merveilleux ; on retrouve ainsi, d'un genre à l'autre, les mêmes constantes (notamment la mise en scène d'animaux qui ont l'usage de la parole).
Mais la fable se distingue du conte par le rapport explicite qu'elle établit avec la signification qu'elle contient : si la fable énonce clairement sa moralité, le conte, lui, délivre un message crypté qu'il s'agit de déchiffrer. Michel Tournier, dans une étude menée sur Barbe Bleue évoque la différence entre la fable, le conte et la nouvelle : « À mi-chemin entre l'opacité brutale de la nouvelle et de la transparence cristalline de la fable, le conte [...] se présente comme un milieu translucide, mais non transparent, comme une épaisseur glauque dans laquelle le lecteur voit se dessiner des figures qu'il ne parvient jamais à saisir tout à fait [...] » (Michel Tournier, Barbe Bleue ou le secret du conte). La véritable signification du conte se situe souvent au-delà de du premier message qu'il contient. Aussi est-ce peut-être pour inviter le lecteur à pousser l'interprétation plus loin que Charles Perrault propose parfois deux moralités à ses contes, comme dans les dernières lignes de Peau-d'Âne :
« MORALITÉ : Les diamants et les pistoles
Peuvent beaucoup sur les esprits ;
Cependant les douces paroles
Ont encor plus de force, et sont d'un plus grand prix.
AUTRE MORALITÉ : L'honnêteté coûte des soins,
Et veut un peu de complaisance ;
Mais tôt ou tard, elle a sa récompense,
Et souvent dans le temps qu'on y pense le moins. »
Les différents types de contes littéraires
Trois types de contes ont été particulièrement mis en honneur dans la littérature : le conte de fées, le conte philosophique et le conte fantastique.
Le conte de fées
Le conte de fées est un récit merveilleux peuplé de personnages imaginaires bons (fées, lutins, elfes...) ou mauvais (ogres, sorcières...) et d'animaux fabuleux (licorne, dragons, ...) souvent doués de parole. En général, le récit s'organise sous la forme d'une quête, laquelle est généralement motivée par le désir de délivrer une princesse ou un prince charmant d'un mauvais sort. Tours de magie, envoûtements et sortilèges scandent le récit, qui, la plupart du temps, se finit bien. Les contes de fées fleurissent dans la littérature à partir de la fin du xviie siècle mais le succès rencontré dès le xvie, par un recueil de contes italiens intitulé les Facétieuses Nuits (1550-1553) de Straparola avait déjà prouvé qu'il existait bien un public pour ce genre de récit.
Perrault et la vogue des contes de fées
Les contes de fées sont entrés progressivement dans la littérature. Les premiers d'entre eux sont apparus sous la forme de courts récits insérés à l'intérieur d'un roman. Ainsi, Mme d'Aulnoy, avant de publier de nombreux recueils de contes (les Fées à la mode et les Illustres Fées, 1698) semble s'y essayer en introduisant un conte à l'intérieur de son roman Hippolyte, comte de Douglas (1690). De la même manière, on trouve dans le roman Inès de Cordoue, nouvelle espagnole (1696) de Catherine Bernard un texte qui est probablement la version originale de l'histoire de Riquet à la Houppe conte devenu célèbre sous la plume de Charles Perrault.
C'est pourtant bien à Perrault que revient le mérite d'avoir rendu le conte de fées populaire. En 1697, il fait paraître ses fameuses Histoires ou Contes du temps passé (précédemment publiées sous le titre Contes de ma mère l'Oye), puisant sa matière dans la tradition orale. En fixant par écrit des récits qui avaient jusque-là été transmis oralement, il a su donner du crédit à un genre alors oublié de la littérature. Séduits par l'exercice auquel Perrault s'était livré, beaucoup cherchèrent à l'imiter et le conte suscita dès lors un engouement généralisé. Une mode était née, et entre 1696 et les premières années du siècle suivant, les recueils de conte de fées parurent en grand nombre.
À l'origine du conte de fées, on trouve souvent une femme-écrivain. La comtesse d'Aulnoy et Mlle Bernard sont en effet loin d'être les seules à s'enthousiasmer pour ce genre ; Mmes de Murat et d'Auneuil, Mlles L'Héritier de Villandon et de La Force contribuèrent à mettre le conte de fées en vogue en laissant de nombreuses histoires destinées aux enfants. En passant de l'oral à l'écrit, le conte de fées, qui, à l'origine, s'adressait aux adultes, changea ainsi subrepticement de destinataires en privilégiant la cible enfantine. En marge de cette production littéraire majoritairement féminine, il convient de citer un autre livre, le Comte de Gabalis ou entretiens sur les sciences secrètes (1670) de l'abbé Villars, dont l'inspiration, proche de celle des contes de fées, fut surtout essentielle sur le développement de la littérature fantastique.
La vogue des contes de fées se prolonge tout au long de la première moitié du xviiie siècle. En 1730, Antoine de Hamilton publie un conte de fées intitulé Histoire de Fleur d'Epine et plusieurs autres contes inspirés des Mille et une nuits : le Bélier, l'Enchanteur Faustus, les Quatre Facardins, Zénéyde. Peu de temps après, le Comte de Caylus fait paraître des Féeries (1741-1745). Parallèlement, les femmes continuent à cultiver le genre. Parmi les conteuses les plus célèbres, citons Marie-Antoinette Fagnan (Minet-Bleu et Louvette, 1750) et surtout Mme Le Prince de Beaumont, auteur d'une série de recueils pédagogiques et littéraires, le Magasin des enfants, destinés à éveiller l'esprit des enfants en les divertissant. Elle y insère un certain nombre de contes de sa composition, qui seront regroupés en 1757 dans un recueil à part. Le plus célèbre d'entre eux, la Belle et la Bête, passa à la postérité.
L'enthousiasme pour le conte de fées décline progressivement à partir de la deuxième moitié du xviiie siècle. C'est pourtant à cette époque que Charles-Joseph Mayer a l'idée de rassembler dans un seul ouvrage la plupart des contes féeriques connus à cette époque afin d'établir une sorte d'anthologie du genre. Publiés entre 1785 et 1789 sous le titre du Cabinet des fées, les 41 volumes de ce recueil constituent un excellent témoignage du développement considérable qu'avaient connu les contes de fées en un peu moins d'un siècle.
Postérité ou continuité du conte de fées ?
Si après le xviiie, le conte de fées ne connaît pas, en France, d'évolution majeure, il revient en force en Allemagne, où les frères Grimm prennent le relais de Charles Perrault en publiant leurs Contes en 1812 (Contes d’enfants et du foyer). C'est d'eux que nous viennent les versions les plus connues de Blanche-Neige et de la Belle au bois dormant, ainsi que la fin heureuse du Petit Chaperon rouge, délivré des griffes du loup par un chasseur qui passait par-là.
Quelques années plus tard, le Danois Hans Christian Andersen fait paraître ses Contes (1835) et la Petite Sirène et la Petite Marchande d'allumettes rejoignent les contes universellement connus. Au fonds ancien viennent dès lors s'ajouter des contes modernes. La comtesse de Ségur publie ses Nouveaux Contes de fées (1857) et l’Italien Carlo Collodi les Aventures de Pinocchio (1883). Parallèlement, la présence de Perrault se maintient : toujours modernes, ses Contes continuent à séduire petits et grands et font l'objet d'adaptations théâtrales (notamment Barbe Bleue par Ludovic Halévy et Henri Meilhac et Riquet à la Houppe par Théodore de Banville).
Au xxe siècle, Marcel Aymé écrit les Contes du chat perché (1934) et Antoine de Saint-Exupéry le Petit Prince (1943). Dans un tout autre registre, la psychanalyse s'empare des contes de fées et donne naissance à une abondante littérature sur l'interprétation des contes (Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, 1976).
Le conte philosophique
Indissociable de Voltaire, qui en fut à la fois le créateur et le plus illustre représentant, le conte philosophique s'est imposé comme le genre voltairien par excellence. Pourtant, le philosophe ne manifesta pas d'intérêt particulier pour cette forme narrative avant la fin de sa carrière : il avait déjà 54 ans lorsque parut le premier d'entre eux, Zadig (1748). C'est dans les salons mondains (notamment chez la duchesse du Maine à Sceaux) qu'il commença à composer des contes, entre autres divertissements littéraires. Le succès fut tel qu'il décida de les faire publier.
Héritage ou détournement du conte traditionnel ?
Pour composer ses contes, Voltaire utilise toutes les techniques du conte traditionnel : la narration se fait sur un ton plaisant, dans un univers intemporel et imaginaire (comme en témoigne l'incipit de Candide : « Il y avait en Westphalie, dans le château de monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh,... »), parfois merveilleux (les héros de Micromégas sont des géants) ; les péripéties s'enchaînent rapidement ; des hasards ou des heureuses rencontres permettent aux héros de se sortir des situations les plus critiques ; les personnages sont des types le plus souvent réduits à un trait de caractère unique (Candide, l'Ingénu...).
À ces procédés habituels, Voltaire ajoute quelques touches personnelles qui font toute la force de ses contes. Il parvient ainsi à détourner le conte traditionnel pour y insérer une trame philosophique. Tout d'abord, Voltaire outrepasse les règles du merveilleux en introduisant des réalités historiques à l'intérieur du conte : plusieurs scènes de Candide évoquent l'Inquisition ou encore le tremblement de terre de Lisbonne. Par ailleurs, il introduit à plusieurs reprises des digressions : l'action reste alors en suspens et, pendant quelques pages, Voltaire laisse la parole à un de ses personnages, afin qu'il expose une idée, s'explique sur un phénomène, disserte sur un principe moral.
Mais l'arme la plus puissante de Voltaire est l'ironie, dont il use sans modération, multipliant les raisonnements absurdes (« Monsieur le baron était l'un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres », Candide), les exagérations, les situations grotesques. Cette ironie criante, souvent grinçante, rompt avec l'apparente simplicité du récit et le décalage qui en résulte souligne la dimension critique du conte. Voltaire joue constamment sur la distinction entre le fond (porteur d'un message sérieux) et la forme (simple, coulante, et un peu naïve). Cette contradiction se reflète dans l'intitulé même du genre : comment le conte, ce genre secondaire, longtemps délaissé des meilleurs écrivains, peut-il se prétendre philosophique ? Sans doute parce ceux de Voltaire doivent être lus comme des récits allégoriques.
Conte philosophique et récit allégorique
Le conte voltairien se présente comme une thèse que viennent appuyer ou démonter de nombreux exemples et contre-exemples, correspondant aux diverses péripéties, souvent contrastées (l'opulence de l'Eldorado s'oppose au dépouillement total du nègre de Surinam), qui rythment le récit. Chaque aventure permet de faire avancer le héros, qui progressant pas à pas, arrive à maturité au terme de l'histoire. Le conte philosophique est donc un récit d'apprentissage. La portée du conte est souvent perceptible dès le titre (ou plus exactement le sous-titre), qui pointe de manière à peine détournée le sujet dont il va être question : ainsi, les épreuves que Candide ou l'optimisme va devoir affronter vont profondément remettre en question l'optimisme initial qui caractérise le héros.
Cette construction linéaire montre la volonté clairement didactique du récit dont la finalité essentielle est d'instruire. En ce sens, les contes philosophiques de Voltaire illustrent bien des débats du siècle des Lumières et sont représentatifs des multiples combats menés par l'auteur, notamment pour le respect des droits, la tolérance, la liberté, etc. Et comme tous les masques sont possibles dans le conte (merveilleux, appel à un narrateur fictif, exagération, mensonge...), ce genre lui permet d'exprimer des idées contestataires (Voltaire dénonce la justice, le pouvoir, les abus...) en échappant à la censure.
On trouve relativement peu de contes philosophiques en dehors de ceux de Voltaire. Mais plusieurs œuvres contemporaines s'en approchent, sans doute parce qu'à cette époque philosophie et littérature étaient devenues presque indissociables. Ainsi, dans la même veine que les Contes de Voltaire, Jacques le Fataliste de Denis Diderot et les Lettres Persanes de Montesquieu se servent de l'ironie et de la satire pour mieux dénoncer.
Le conte fantastique
Du conte merveilleux au conte fantastique
Le conte fantastique constitue un héritage des légendes ancestrales et des contes merveilleux. La spécificité du fantastique par rapport au merveilleux réside dans les rapports particuliers que les deux genres entretiennent avec la réalité. L'univers merveilleux est entièrement bâti sur l'invraisemblable : le surnaturel est donné comme tel (les animaux parlent, les citrouilles se transforment en carrosse et personne ne s'en étonne). Le fantastique évoque un monde réel dans lequel survient inopinément un événement insolite, irrationnel, inexplicable. La littérature fantastique peut donc se définir comme « une intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle » (Pierre Georges Castex). Cette intrusion est parfois favorisée par le rêve, l'hallucination, le délire, la possession... Le fantastique repose entièrement sur cette ambiguïté, cette oscillation, cette hésitation, volontairement entretenue, entre la réalité et le surnaturel. C'est ce perpétuel mouvement de balance à la frontière entre deux mondes qui différencie le fantastique du merveilleux où l'irréalité est posée et acceptée d'emblée. D'un monde à l'autre, il n'y a qu'un pas et nombreux sont les écrivains qui le franchirent, surtout à partir du xixe siècle.
L'essor du fantastique en littérature
La littérature fantastique est née sous l'influence des « illuminés » (Emanuel Swedenborg, Louis Claude de Saint-Martin) de la fin du xviiie. Jacques Cazotte (le Diable amoureux), salué par Charles Nodier et Gérard de Nerval comme un précurseur, est généralement considéré comme le véritable créateur du conte fantastique français. Parce qu'il permet d'exprimer certaines incertitudes ou angoisses, le fantastique connaît son plein épanouissement avec le romantisme : en Angleterre et en Irlande, avec le roman noir et le roman gothique (Horace Walpole, Ann Radcliffe, Charles Robert Maturin, Matthew Gregory Lewis, Mary Shelley) ; en Allemagne, avec les Contes d'E. T. A. Hoffmann et d'Achim von Arnim ; en Pologne, avec Wacław Potocki (Manuscrit trouvé à Saragosse, 1804-1805). D'autres évolutions propres au xixe siècle, comme les progrès de la psychiatrie (Jean Martin Charcot) et de l'électromagnétisme (Michael Faraday), la vogue du spiritisme (Allan Kardec) et de l'occultisme (E. Lévi), créent des conditions favorables au développement d'une littérature fantastique qu'illustrèrent Charles Nodier (Contes), Honoré de Balzac (l'Elixir de longue vie, Melmoth réconcilié), Théophile Gautier (la Morte amoureuse, le Lied de la momie), Prosper Mérimée (la Vénus d'Ille), Gérard de Nerval (l'Histoire du calife Harkem), Auguste Villiers de l'Isle Adam (Claire Lenoir, l'Intersigne, Véra), Guy de Maupassant (Apparition, Lui ?, le Horla), etc. Le fantastique fait école dans toutes les littératures, de la Russie, avec Nikolaï Gogol et Fedor Dostoïevski, aux États-Unis, avec Edgar Allan Poe et Nathaniel Hawthorne. Au xxe siècle, la littérature fantastique cède la place avec la littérature de science-fiction, notamment avec les œuvres de Ray Bradbury (Chroniques martiennes, 1950) et de Howard Phillips Lovecraft.
Contes ou nouvelles fantastiques ?
La plupart des auteurs fantastiques ont privilégié les formes narratives brèves. C'est pourquoi le conte y tient une place importante. La forme contraignante du conte, par les effets de condensation qu'elle impose, se met paradoxalement au service de cette littérature dont le but est d'entretenir la tension qui découle du mystère et de resserrer l'intrigue autour d'un événement substantiel. La progression du récit se fait sur un rythme rapide et haletant. L'histoire évolue presque toujours sous la forme d'une courbe : l'action progresse, atteint son paroxysme et s'achève rapidement. L'angoisse produite est largement entretenue par la fluidité du récit court et la limpidité d'une écriture qui ne se perd pas en détours.
Si la plupart des récits fantastiques sont des récits brefs, sont-ils des contes, des nouvelles ou de courts romans ? Plus que dans n'importe qu'elle autre type de littérature, la frontière entre les genres semble floue. Ce flottement s'explique en partie parce que la littérature fantastique se développe surtout à partir xixe siècle, époque à partir de laquelle, la nouvelle et le conte tendent à se confondre. Par ailleurs, on a vu précédemment que l'un des points tendant précisément à différencier le conte de la nouvelle reposait justement sur leur position à l'égard du vraisemblable : le conte relève du fictif alors que la nouvelle cultive l'effet de réel. Le récit fantastique, quant à lui, se pose volontairement à la frontière entre ces deux mondes. À plusieurs égards cependant, la thématique et les lois de composition des œuvres fantastiques rejoignent le schéma classique du conte : un équilibre est rompu et le récit, souvent assuré par un narrateur-conteur racontant une de ses expériences, est la conséquence de ce bouleversement. Cette construction récurrente a peut-être favorisé le choix de l'expression « conte fantastique ».
La diversité du conte littéraire
Une multitude d'autres types de contes ont fleuri en marge des ces trois formes majeures, les contes de fées, philosophiques et fantastiques. S'il est impossible de les recenser de manière exhaustive, il convient cependant de citer :
– les contes libertins, qui constituent l'héritage direct des fabliaux du Moyen Âge, et dont les plus célèbres sont ceux de Jean de La Fontaine ;
– les contes moraux, qui offrent, sous la forme d'un bref récit, une peinture de mœurs s'inscrivant dans une perspective édifiante à la gloire de la vertu. La paternité de ce genre est généralement attribuée à Jean-François de Marmontel, dont les Contes moraux, initialement publiés dans des périodiques, furent regroupés en recueil en 1761. Ils suscitèrent de nombreuses imitations : Nicolas Bricaire de la Dixmerie (Contes philosophiques et moraux, 1765), Antoine Bret (Essai de Contes moraux et dramatiques, 1765), Louis Sébastien Mercier (Contes moraux, 1769).
– les contes orientaux, qui connurent un développement considérable après la traduction, par Antoine Galland, du premier volume de sa traduction des Mille et une nuits (1704). L'exotisme séduit, attire, et inspire de nombreux écrivains, qui, fidèles ou non à ce modèle, exploitent à leur tour le genre. Paraissent alors les Mille et Un Jours, contes persans (1710-1712), de François Pétis de La Croix ; les Mille et Un Quarts d'heure, contes tartares (1733), de Thomas Simon Gueullette, également auteur des Mille et Une Heures, contes péruviens (1740) ; les Mille et Une Faveurs, contes de cour tirés de l'ancien gaulois, du chevalier de Mouhy ; les Mille et Une Folies, contes français (1771) de Pierre Jean-Baptiste Nougaret. Le genre se décline alors sur tous les modes, donnant lieu à de nombreux pastiches ironiques et satiriques comme les Mille et Une fadaises (1742) de Jacques Cazotte.
La liste pourrait encore s'étendre (on a parlé de contes réalistes, héroïques, satiriques...), mais ne permettrait pas d'aborder tous les aspects du genre (à quelle catégorie rattacher les Contes du chat perché de Marcel Aymé, qui s'adressent a priori aux enfants mais dont l'humour démystificateur semble davantage destiné aux adultes ?). En effet, aucune typologie, aussi précise soit-elle, ne pourrait rendre compte de la complexité de ce genre multiforme, ambigu, et profondément paradoxal. Sous ses aspects contraignants (rigueur de construction, exigence de concision, forme close, etc.), le conte a séduit beaucoup d'écrivains, qui ont su, chacun à leur manière, exploiter toutes les ressources du genre. Le conte de fées, le conte pour enfant, et le conte oriental sont restés proches de tradition orale ; en revanche, les contes philosophique, moral, libertin, et fantastique ont considérablement renouvelé le genre, tout en l'approfondissant et en le rendant plus souple. En se développant sous les formes les plus diverses et en pénétrant les littératures du monde entier, le conte littéraire su conserver une part de ce qui faisait l'universalité de son ancêtre, le conte populaire.
LE CONTE POPULAIRE
Appartenant à la littérature orale, le conte populaire est une forme littéraire dont on trouve déjà trace au IIIe millénaire avant J.-C. en Orient. On peut donc le considérer comme une des premières créations spontanée à l'intérieur du langage humain et comme le moyen d'expression populaire par excellence. De ce fait, il recoupe d'innombrables mythes et légendes.
La transmission orale du conte à travers les âges a permis de véhiculer les valeurs sociales des peuples qui les ont produit. Le plus souvent anonymes, les contes sont restés rattachés au nom de celui qui les a retranscrits (les Contes de Grimm par exemple).
La tradition orale
C'est leur recherche esthétique et stylistique qui a valu à certaines productions orales traditionnelles le nom de « littérature » orale. Celle-ci se transmet de génération en génération, surtout dans les sociétés rurales. Le conte s'inscrit dans cette tradition.
Généralement récité, le conte peut néanmoins comporter des parties chantées ou rythmées : on parle alors de « chantefable ». Sur le plan formel, le conte est codifié tant par ses structures que par les conditions de la narration (règles strictes de temps, de lieu, de public). Ainsi, actuellement encore en Afrique (et naguère en Europe), il ne peut être dit que la nuit ; certains répertoires sont purement masculins, d'autres féminins ; la récitation des contes peut être interdite entre certains proches parents (par exemple, entre mère et fils d'âge nubile, ou bien entre gendre et beaux-parents).
Le conte et les autres genres de la littérature orale
Le conte et le mythe
Le conte se distingue du mythe, qui est également un récit structuré et soumis à des règles, par ses thèmes : le mythe est une explication du monde et se donne pour parole vraie. Là où le mythe n'est plus objet de croyance, il n'est plus toujours facile de les distinguer.
Le conte et la légende
La frontière entre le conte et la légende est également floue. Le conte se donne d'emblée comme fiction, tandis que la légende, se réfère, à l'origine, à l'ancienne habitude, dans les couvents, de lire des vies de saints ; si dès le xvie s., la légende désigne un récit oral contenant, comme le conte, des éléments imaginaires, elle prétend toujours les situer dans la réalité : on y trouve des précisions de lieu et de temps, des personnages historiques ou supposés tels, saints, rois, héros, ancêtres. Certaines légendes se rapportent à l'origine de configurations géographiques (rocher, lac, source) ou à leurs noms. Un ensemble de légendes attachées au même personnage ou groupe de personnages peut former un cycle, tel le « cycle breton » du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde.
Typologie des contes
On peut classer les contes selon des critères formels. Dans certaines cultures, on distingue sous des noms différents les contes qui comportent des parties chantées, souvent réservés aux femmes, et ceux qui n'en contiennent pas. Une classification internationale des contes a été établie :
– les cumulative tales, ou « randonnées », sont des récits où l'on répète à chaque nouvel épisode ce qui s'est passé dans les épisodes précédents ;
– les « contes à énigme » ne donnent pas la fin de l'histoire mais se terminent par une question (« Lequel des trois a mérité la main de la princesse ? »), dont la réponse n'est pas fixée à l'avance : les auditeurs proposent des solutions.
Mais les catégories le plus souvent retenues se fondent sur le contenu et les modalités du récit, notamment les personnages.
Les contes d'animaux
Le conte oral ayant pour héros des animaux doués de parole et se comportant comme des humains doit être distingué de la fable, ce terme désignant plutôt un genre littéraire écrit, didactique, généralement en vers. Les contes d'animaux s'enchaînent souvent les uns aux autres, car ils relatent les aventures de personnages identiques ; l'ensemble forme un cycle. On connaît ainsi dans la tradition française les contes du Loup et du Renard, dont on retrouve bien des motifs dans le Roman de Renart, et auxquels répond, en Afrique occidentale, le cycle du Lièvre et de l'Hyène. Les espèces animales mises en scène changent selon les régions, mais la trame générale de tous ces contes opposant deux animaux est la même : le plus faible, qui est aussi intelligent et rusé, joue des tours pendables au plus fort, stupide et crédule. Dans le rôle du trompeur, ou trickster, on trouve en Afrique, selon les régions, le Chacal, l'Araignée, la Tortue. La morale de ces contes est immédiate : le triomphe de la ruse et la revanche de la faiblesse sur la force brutale mettent les rieurs du côté du trompeur. Mais leur signification profonde dépasse une simple revanche sociale et psychologique: ces contes semblent bien être en relation avec des mythes fondateurs ; en Afrique, dans certaines cultures, ils sont associés à une vision du monde impliquant la lutte cosmique des principes d'ordre et de désordre. Chez les Indiens d'Amérique du Nord, il existe toute une mythologie du trickster, incarné notamment par le Coyote (cousin du Chacal africain), personnage ambigu, à la fois créateur et destructeur.
Les contes facétieux
Leur but est de faire rire et ils usent souvent de la scatologie ou de la paillardise. On se moque des niais, que leur sottise entraîne dans toutes sortes de malentendus (ainsi en France, dans le « cycle de Jean le Sot »). On raille aussi volontiers les cœurés et les femmes. Chaque culture a sa cible favorite, comme, en Europe centrale, le Tsigane. Les contes « de béotiens » s'attaquent à la bêtise attribuée aux habitants d'un village voisin. Sans recourir à la grosse farce, les contes facétieux peuvent être de véritables petites comédies de mœurs dans lesquelles la « traîtrise » des femmes est souvent particulièrement visée. On range aussi dans cette catégorie les contes du Fin Voleur. Un certain nombre de fabliaux du Moyen Âge sont construits sur des thèmes de contes facétieux.
Les contes merveilleux
Ces contes tiennent une place très importante dans la littérature orale. Leur ressort est le merveilleux, c'est-à-dire l'intervention du surnaturel, de l'inexplicable dans les aventures des héros. Des personnages secourables (fées, lutins, vieilles femmes, animaux) les aident à accomplir les épreuves et à triompher des obstacles. Ces personnages ont été appelés « adjuvants » par le sémioticien français A.J. Greimas ; les adversaires ou « opposants » peuvent être des ogres, des dragons, des méchants de toute espèce. Dans le merveilleux chrétien, les adjuvants sont les saints, la Vierge, voire le Seigneur, qui parcourent le monde et aident les héros méritants, tandis que le méchant est souvent le Diable. Des objets magiques sont remis au héros, des conseils lui sont donnés. Les contes merveilleux sont fréquemment bâtis sur un scénario en forme de quête : le héros, ou l'héroïne, part à la recherche d'un objet difficile à obtenir ; dans les contes européens, le but du voyage est souvent la délivrance d'une princesse enlevée par un méchant. Au début de sa quête, le héros entre dans un monde différent. Le passage est souvent marqué par la traversée d'une rivière, la plongée au fond de l'eau ou la descente sous terre. Cet univers est dépeint comme inversé par rapport à celui des humains ; les arbres sont à l'envers, le lait est noir, le héros est confronté à des situations absurdes ; c'est le monde des morts et des puissances surnaturelles.
Les autres types de contes
L'anecdote est un court récit, souvent satirique, qui se donne pour vrai et dont les personnages sont généralement connus des auditeurs. Une forme moderne de l'anecdote, très développée en milieu urbain, est l'histoire drôle. Il en existe des cycles, centrés sur la satire d'une communauté (histoires juives, histoires belges).
Le conte de mensonges accumule les invraisemblances ; il est le plus souvent réservé aux hommes.
Les contes étiologiques expliquent l'origine des particularités des animaux et des plantes (forme, couleur, cri, etc.).
L'universalité du conte
On a remarqué depuis longtemps que les histoires racontées par les contes se retrouvaient avec une grande permanence dans les régions les plus diverses et que, dans la mesure où l'on pouvait en retrouver une trace écrite, elles étaient attestées depuis des époques parfois très reculées.
La récurrence des thèmes
Ainsi, le récit égyptien de l'Adroit Voleur, relaté par Hérodote, a été trouvé partout en Europe à des époques diverses et a été recueilli dans plusieurs pays africains. Une des plus anciennes versions de Cendrillon que l'on connaisse est chinoise et on en retrouve la trame dans un roman japonais du xe s., tandis que le conte des Deux Filles est l'un des plus attestés dans le monde.
Transmission
Une des raisons de cette remarquable universalité est certainement la diffusion de tous ces récits à travers le temps et l'espace. Il est d'ailleurs difficile d'en retrouver le point de départ, mais il est certain que les contes ont été colportés de tout temps par les voyageurs, marins, marchands et soldats le long des grandes routes commerciales ou de pèlerinage. Des phénomènes comme l'esclavage ou la colonisation ont favorisé l'implantation des contes africains en Amérique ou aux Antilles, des contes français en Afrique. De nombreux contes orientaux inspirés des Mille et Une Nuits se retrouvent aujourd'hui en Afrique noire, où ils sont très probablement arrivés par le Maghreb.
Adaptation
La condition essentielle pour qu'il y ait adoption par les auditeurs de récits provenant d'une autre culture est bien entendu l'existence d'une langue de communication. Mais il faut également que les auditeurs y trouvent l'écho de leurs propres préoccupations sociales et psychologiques. Les contes se perpétuent donc aussi à travers l'espace et le temps dans la mesure où ils posent, sous une forme imagée et symbolique, des problèmes que connaissent toutes les sociétés humaines. Les contes qui traitent de thèmes trop spécifiques, liés à une forme particulière de société, ne s'exportent guère, ou alors ils sont vite oubliés.
L'adoption d'un nouveau conte ne se fait pas sans métamorphoses. Si au début on le raconte comme on l'a entendu, très rapidement les détails culturels caractéristiques vont céder la place à ceux de la culture d'adoption, les allusions au mode de vie, au paysage, à la faune, à la flore vont se modifier. Mais certains noyaux résistants, certaines structures fondamentales vont subsister, et c'est à cela que l'on reconnaîtra qu'il s'agit du même conte, sous les nouvelles couleurs que lui a données l'acculturation. Un même conte peut d'ailleurs subir des variations à l'intérieur d'une même culture en fonction de l'évolution de la société qu'il reflète. C'est ainsi qu'on a pu relever, en Afrique de l'Ouest, des emprunts de contes entre sociétés voisines mais de langues et de cultures différentes (par exemple entre des nomades et des sédentaires).
Quant à l'hypothèse de la convergence, c'est-à-dire de la possibilité d'une naissance spontanée des mêmes récits dans des sociétés éloignées mais vivant dans des conditions sociales et psychologiques identiques, elle est difficile à vérifier, car dans la plupart des cas on en est réduit à des conjectures sur les origines des contes.
L'origine des contes
C'est au début du xixe s. que l'on a commencé à s'interroger sur cette question : les frères Grimm font dériver les contes d'un système mythologique disparu. Plus tard, avec la découverte du sanskrit, on se tournera vers l'Inde, mère de la civilisation européenne, pour en faire la patrie d'origine des contes populaires. C'est la théorie avancée par l'Allemand Theodor Benfey dans son introduction à l'édition des contes indiens Pancatantra (1859), et adoptée à sa suite par de nombreux « folkloristes ». Avec la découverte de la part importante d'autres grandes civilisations (par exemple l'Égypte ou la Grèce) dans la diffusion de certains contes disparaît l'espoir de trouver une origine unique à ces récits.
Dans la première moitié du xxe s., la méthode historico-géographique de l'école finlandaise séduit beaucoup les folkloristes. Elle consiste à réunir le plus possible de variantes d'un même type de conte, et à les comparer pour établir une sorte de schéma originel et tenter d'en retrouver l'origine. L'ouvrage publié en 1911 par Antti Aarne et enrichi par l'Américain Stith Thompson, The Types of the Folktale (1961), connu familièrement sous le nom de « catalogue Aarne-Thompson », a servi de modèle au Catalogue raisonné des contes populaires français de Paul Delarue, continué par Marie-Louise Tenèze (1957-1977).
Selon les anthropologues de l'école de Cambridge, notamment James George Frazer (le Rameau d'or, 1890-1915), des récits mythiques ayant accompagné des rituels s'en seraient séparés pour se retrouver sous une forme indépendante dans la littérature orale.
Pour les psychanalystes, les contes s'apparentent aux rêves et aux fantasmes, et traduisent sous forme d'images les processus de l'inconscient. Les scénarios de nombreux contes se prêtent à cette interprétation : fantasmes incestueux (Peau-d'Âne), fantasmes de dévoration, synonyme symbolique de « consommation » sexuelle (le Petit Chaperon rouge, contes africains de la Mère ogresse). Si les analyses de Géza Róheim (Origine et fonction de la culture, 1943) ou de Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées, 1976) prennent peu en compte les contextes culturels, elles montrent comment les contes s'organisent autour de fantasmes pour proposer des solutions qui concourent à la formation de la personnalité.
Les fonctions du conte
Les contes jouaient un rôle important dans les anciennes sociétés rurales occidentales et continuent à le tenir là où ils sont encore vivants, dans de nombreuses sociétés traditionnelles d'Afrique, d'Amérique, d'Asie, d'Océanie et aussi en Europe centrale.
Le divertissement
C'est la première fonction de la littérature orale, celle que tous les usagers s'accordent à reconnaître. Pendant les veillées villageoises, on se réunissait pour travailler (égrenage, filage, vannerie) et on disait des contes qui tour à tour faisaient peur ou faisaient rire. Dans la communauté villageoise, les meilleurs conteurs étaient connus ; sans être des professionnels, les artisans possédaient souvent un grand répertoire. Certains contes étaient réservés aux hommes, qui se les disaient entre eux, à l'étable ou lors du service militaire. Les femmes avaient aussi leur répertoire ; de tout temps, les mères et les grand-mères ont conté aux enfants. Actuellement encore, les contes sont, avec le chant et la danse, le divertissement le plus goûté dans les villages d'Afrique noire. Dans certaines cultures (au Maghreb et au Moyen-Orient), des conteurs professionnels vont de village en village et se produisent sur la place publique.
La pédagogie
Les contes véhiculent un savoir qui se transmet de génération en génération. Dans certaines sociétés africaines, on ne communique aucun élément de connaissance à un enfant avant de lui avoir dit un conte ou posé une devinette ; à ses réactions et aux questions qu'il pose, on juge s'il a le niveau d'intelligence et de curiosité suffisant pour recevoir l'enseignement.
Sur le plan de l'observation du milieu naturel, par les allusions qu'ils font à la faune, à la flore, à l'environnement géographique, les contes permettent d'introduire des « leçons de choses ». Un enfant retiendra mieux le nom et les caractéristiques d'un animal s'il peut se remémorer des histoires sur lui, en particulier les petits récits étiologiques qui expliquent pourquoi un oiseau chante de telle façon ou pourquoi il a un plumage de telle couleur. Les légendes attirent l'attention sur les lieux-dits, sur la configuration du paysage, sur les saints locaux ou sur les ancêtres du groupe. Du point de vue de la morale sociale, les contes fournissent l'occasion d'expliquer les règles et les comportements de la vie communautaire. Le héros est récompensé ou châtié selon ses mérites. Les contes se terminent souvent sur une morale, qui peut être commentée et renforcée par des proverbes : le conte aide ainsi à transmettre le système de valeurs propre à une société. Cependant, il existe dans toutes les cultures des contes « contestataires » qui vont précisément à contre-courant de ces valeurs : un fils se rebelle contre son père, l'Enfant malin joue de mauvais tours au Roi et finit par le tuer pour prendre sa place, le Fin Voleur reste impuni, etc. Si de tels contes semblent bafouer les règles établies, ils servent néanmoins à les renforcer en libérant les tensions, car ils permettent de rire aux dépens de ceux qui détiennent l'autorité : leur rôle est alors cathartique.
La fonction psychologique
Cette fonction s'exerce au niveau inconscient, et donc à l'insu des usagers. Les contes posent en effet, sous forme d'images symboliques dont le système est propre à chaque culture, les problèmes inconscients auxquels sont confrontés les individus et qui touchent aux rapports des membres du groupe entre eux : relations à l'intérieur de la famille (problème de l'inceste), entre les sexes, conflits de générations. Ils tentent aussi, à leur manière, de proposer des solutions à ces problèmes. Par la dramatisation des fantasmes, ils aident certainement à les surmonter et jouent donc un rôle important dans la formation de la personnalité. Très caractéristiques à cet égard sont les contes que l'on appelle « initiatiques ».
Le passage de l'enfance ou de l'adolescence à l'âge adulte, et l'intégration des jeunes dans la société, est l'un des problèmes majeurs auxquels tous les groupes sociaux ont à faire face. Dans les sociétés traditionnelles, d'Afrique notamment, ce passage est entouré de rituels importants dont le scénario est toujours le même : les jeunes sont séparés de leur famille, subissent des épreuves physiques et morales, reçoivent un enseignement et sont soumis à une mort symbolique, d'où ils vont renaître comme des individus nouveaux qui seront ensuite réintroduits au cours d'une grande fête dans le groupe villageois. Dans les sociétés européennes, même si ce passage était moins marqué, il était cependant ressenti comme nécessaire et souligné de différentes façons. Ce scénario initiatique se retrouve dans le monde entier et fournit le thème d'un très grand nombre de contes. La structure en miroir est la plus répandue : le récit oppose les conduites de deux héros ou héroïnes lors d'un voyage imposé, à la recherche d'un objet ou afin de remplir une tâche difficile. Soumis à des épreuves et obligé d'accomplir des tâches apparemment impossibles, le premier héros fait preuve de qualités diverses dont les principales sont la docilité, la patience, la discrétion, le respect des personnes âgées : il réussit dans sa quête et rentre chez lui avec des récompenses ; le second, dont le départ est souvent motivé par la jalousie, a un comportement infantile, il se montre indocile, indiscret, impoli, il échoue et il est puni, parfois de mort.
Si la leçon de morale sociale de tels contes est claire, puisqu'ils mettent en évidence les vertus sociales qui permettent la vie en communauté, leur sens plus profond est précisément d'affirmer la nécessité du processus initiatique et de la transformation du jeune individu en adulte responsable. La mort symbolique de l'initié est traduite dans le langage du conte par son passage dans un monde différent où tout est inversé, car c'est le monde de la mort : il va y subir une gestation et en renaître triomphant, pourvu de récompenses symbolisant son changement de statut. Pour les filles en particulier, le conte largement répandu des Deux Filles traduit, par des motifs symboliques se rapportant tous à la féminité, la conquête par la jeune fille pubère de sa personnalité adulte et de la fécondité : dans les sociétés traditionnelles, le statut idéal de la femme, celui qui lui permet d'être reconnue comme adulte, est en effet celui de mère.
Structures narratives
De structure contraignante, les contes traditionnels commencent et se terminent par des formules fixes, variables selon les cultures, mais axées sur quelques thèmes principaux. Les formules d'introduction insistent souvent sur le caractère mensonger du récit qui va suivre – comme la vieille formule française « Plus j'vous dirai, plus j'mentirai ; je n'suis pas payé pour vous dire la vérité » – ou sur son caractère intemporel, de « Il était une fois... » à « Once upon a time... ». Les formules finales annoncent que le conte est terminé, parfois de façon très élaborée (« Je suis passé par mon pré / Mon conte est achevé / Je portais mes souliers de saindoux / Ils se fondirent en chemin / Et ceux de verre / Pour vous le faire croire »). On mentionne aussi la nécessité de continuer la transmission, comme dans la formule africaine : « Le conte est terminé, je l'ai replacé sous l'arbre où je l'avais trouvé » (et où quelqu'un viendra le reprendre).
Au début ou à l'intérieur du récit, le conteur peut intervenir pour réveiller l'attention des auditeurs ; c'est la fonction du célèbre « Cric ! », auquel on doit répondre « Crac ! ». Il existe aussi des formulettes rimées et rythmées qui reviennent à des moments fixes et aident beaucoup à la mémorisation (on se souvient de cette phrase prononcée d'abord par la grand-mère du Petit Chaperon rouge, puis par le loup : " Tire la chevillette, la bobinette cherra ").
Les structures narratives du conte ont fait l'objet de nombreuses études. Une des plus célèbres est celle du Russe Vladimir Propp, Morphologie du conte (1928), qui, fondée sur l'analyse des contes merveilleux russes, conclut à l'existence de « fonctions » constantes, au nombre de trente et une, s'enchaînant toujours dans le même ordre, même si elles ne sont pas toutes présentes dans chaque cas ; elles vont d'un manque ou méfait initial à la réparation finale ; les variables sont les supports de ces fonctions (personnages, attributs).
Le style oral
Un conte populaire emmagasiné dans la mémoire d'un conteur va reprendre vie lorsque les conditions de son émission sont remplies (présence d'un auditoire, respect des règles). Bien que les conteurs traditionnels se réclament d'un modèle et affirment dire le conte comme ils l'ont entendu, on s'accorde à reconnaître qu'il y a un apport personnel à la narration et l'on distingue les talents particuliers des conteurs. Chacun utilise les ressources de son corps et de sa voix pour dramatiser le récit. Ce style oral est, selon une expression africaine, « ce qui donne du goût aux contes », comme les condiments à la nourriture. La relation du conteur avec l'auditoire est essentielle ; rires, exclamations, interventions, reprise des chants incitent le narrateur à se surpasser, à exploiter les ressources de la langue : expressions imagées, emploi habile des dialogues et changements de voix font partie d'une bonne performance.
Les collectes
Les caractéristiques orales du conte en font une production artistique à la fois durable et éphémère, qui meurt et renaît à chaque narration. C'est seulement à une date récente que les moyens audiovisuels ont permis d'en fixer tous les aspects.
L'idée de mettre les contes par écrit est ancienne. Le Kalila wa Dimna, titre arabe d'un recueil de contes d'animaux appartenant à la littérature sanskrite, date du iiie s., le Pancatantra, recueil de contes indiens, du vie s. Le recueil des Mille et Une Nuits reçoit sa forme définitive en Égypte vers 1400, mais il contient des récits collectés bien auparavant dans tous les pays du Proche et du Moyen-Orient. En France, on connaît des adaptations littéraires de contes populaires dès le Moyen Âge, avec les fabliaux ou le Roman de Renart.
Les contes de Perrault
Au xviie s., Charles Perrault publie ses contes alors que la mode est aux contes de fées qui sont essentiellement des créations littéraires. Les Histoires ou Contes du temps passé, ou Contes de ma mère l'Oye, paraissent en 1697, avec une dédicace de Pierre Perrault d'Armancourt, ce fils de Charles Perrault mort à vingt et un ans ; personne ne sera dupe et les contes seront reconnus comme l'œuvre du père. La préface précise que ces « bagatelles » se racontent « dans les huttes et dans les cabanes ». Ainsi revendiquée, leur origine populaire (bien que l'un des contes, « Riquet à la houppe », soit une création de Perrault) se trouve d'une certaine façon authentifiée par les archaïsmes et les expressions « basses » qui émaillent un style littéraire (« Peau-d'Âne » et « les Souhaits » sont en vers).
Le succès de l'ouvrage sera immédiat et durable : la littérature de colportage et les ouvrages scolaires s'en empareront, et Perrault restera dans la mémoire collective bien plus comme l'auteur de ces contes que comme l'académicien travaillant avec Colbert à codifier une littérature à l'image du règne du Roi-Soleil.
Les contes des frères Grimm
Le début du xixe s. sera marqué, en Allemagne, par les collectes des frères Grimm. Les Contes d'enfants et du foyer, du philologue allemand Jacob Grimm et de son frère Wilhelm, publiés en sept volumes de 1812 à 1814, inaugurent une véritable science du folklore. Le recueil, qui rassemble deux cents récits provenant essentiellement de sources orales, en différents dialectes allemands, vise à reproduire les mots et le style des conteurs. Ces contes, dont le titre même indique qu'ils s'adressent à un public familial (à la différence de ceux de Perrault, que ce dernier ne destinait pas aux enfants), sont actuellement traduits dans quelque soixante-dix langues.
Les recueils de la fin du xixe s. et du xxe s.
Vers la fin du xixe s. apparaissent en Europe les grands recueils de traditions populaires (contes, légendes, chansons) avec, en France, François Luzel (Contes populaires de Basse-Bretagne, 1887), Jean-François Bladé (Contes populaires de Gascogne, 1886) et Paul Sébillot (Folklore de France, 1904-1907). La première moitié du xxe s. est l'ère des grands folkloristes : Arnold Van Gennep (du Folklore du Dauphiné, 1933, à celui des Hautes-Alpes, 1946-1948), Paul Delarue, initiateur du Catalogue raisonné des contes français. Le cas de Henri Pourrat est particulier : à partir de contes populaires qu'il recueille en Auvergne de 1908 à 1953, il fait œuvre littéraire, et son Trésor des contes (1948-1962) comportera treize volumes.
Aujourd'hui, si le conte traditionnel a à peu près disparu des pays industrialisés (même si on assiste à un certain renouveau, à travers des spectacles et des festivals s'ouvrant aux conteurs professionnels), de nombreuses collectes sont effectuées là où la tradition orale est encore vivante, notamment en Afrique. Ethnologues et linguistes s'efforcent de recueillir les récits dans la langue originale et de les replacer dans le contexte culturel et social qui les a produits.