Guy de Maupassant

Guy de Maupassant
Guy de Maupassant

Écrivain français (château de Miromesnil, Tourville-sur-Arques, 1850-Paris 1893).

Écrivain fécond, disciple de Flaubert, Guy de Maupassant est l'auteur de contes, de nouvelles et de romans. Observateur privilégié de la paysannerie normande, de ses malices et de sa dureté, l’écrivain élargit son domaine à la société moderne tout entière, vue à travers la vie médiocre de la petite bourgeoisie des villes, mais aussi le vice qui triomphe dans les classes élevées. Le déclin de sa santé mentale, avant même l’âge de trente ans, le porte à s’intéresser aux thèmes de l'angoisse et de la folie.
Passant du réalisme au fantastique, Maupassant refuse les doctrines littéraires. Comptant parmi les écrivains majeurs du xixe siècle, il se rattache à une tradition classique de mesure et d’équilibre et s'exprime dans un style limpide, sobre et moderne.

Naissance

5 août 1850 au château de Miromesnil, Tourville-sur-Arques, près de Dieppe.

Famille

Son père est un agent de change anobli d’origine lorraine ; sa mère, très cultivée et amie d'enfance de Flaubert – qui sera pour le jeune Guy comme un maître et deviendra son ami –, est issue de la bourgeoisie normande.

Enfance, adolescence, jeunesse (1850-1871)

Scolarité en Normandie, puis études de droit à Paris interrompues par la guerre de 1870. Maupassant passe son enfance et son adolescence avec son frère cadet et sa mère, séparée de leur père (1860), à Étretat.

Un petit fonctionnaire (1871-1880)

Après la guerre (où il s'est engagé comme garde mobile), tenté par les lettres, Maupassant doit cependant gagner sa vie et accepte un poste de fonctionnaire de petit rang au ministère de la Marine (1872), à Paris. Pendant près d’une dizaine d’années, alors que mûrit sa vocation d’écrivain réaliste, il mène une vie de plaisirs, fréquente les guinguettes et le milieu des canotiers des bords de Seine. Séducteur, il multiplie les aventures féminines. En 1877, il apprend qu’il est atteint de syphilis.

Du naturalisme à la mondanité (1880-1888)

Maupassant fait paraître, dans le recueil des Soirées de Médan, sa nouvelle Boule de suif (1880) : c’est le départ véritable de sa carrière. En l’espace de 10 ans, il publie près de 300 nouvelles (parmi lesquelles La Maison Tellier, 1881 ; Mademoiselle Fifi, 1882 ; Les contes de la Bécasse, 1883 ; Miss Harriett, 1884 ; le Horla, 1887) et six romans (parmi lesquels Une Vie, 1883 ; Bel-Ami, 1885). Outre de nombreux contes, il écrit des chroniques pour des journaux (Le Gaulois, Gil Blas, Le Figaro et l’Écho de Paris).

Cette abondante production rencontre le succès auprès du public, lui procurant aisance matérielle et reconnaissance sociale. Maupassant s’éloigne du milieu littéraire et fréquente la haute société, notamment le cercle de la princesse Mathilde Bonaparte. Dans la préface qu’il place en tête de son roman Pierre et Jean (1888), l’écrivain revendique son indépendance, fondée sur le culte exclusif de l’« humble vérité ».

Le déclin (1888-1893)

Affaibli par la maladie, Maupassant écrit moins. Il multiplie les séjours de repos sur la côte d’Azur, les voyages en Afrique du Nord, tout en continuant de sombrer dans la dépression. Obsédé par la mort, il tente de se suicider et doit être interné dans la clinique du docteur Blanche, à Passy, où il meurt peu avant l’âge de 43 ans, le 6 juillet 1893, à Paris. (Son frère, Hervé, était mort fou en 1889.)

1. La vie de Maupassant

1.1. La jeunesse : quand « Le talent est une longue patience »

Le père de Maupassant, hobereau galant préférant la vie parisienne au paisible manoir normand, se sépare de sa femme en 1859. Resté à Étretat avec sa mère, le jeune Guy joue avec les petits paysans : son premier contact avec la nature est heureux et il ne l'oubliera jamais. Celui qu'il a avec la société l'est moins : la vie d'un collège religieux – le petit séminaire d'Yvetot, où Maupassant entre en 1863 – convient mal à un adolescent habitué à une certaine liberté de mouvement et de pensée. Le jeune homme fugue, écrit des satires contre ses professeurs, se fait renvoyer. Il termine sa scolarité au lycée de Rouen, où il a pour correspondants le poète Louis Bouilhet et, surtout, Gustave Flaubert, ami d'enfance de sa mère.

Alors qu'il entreprend des études de droit à Paris, Maupassant est réquisitionné en 1870 pour combattre les Prussiens. Attaché à l'intendance et manquant d'être fait prisonnier pendant la débâcle, il quitte l'armée en 1871. L'année suivante, il obtient un emploi au ministère de la Marine.

Il se met alors à écrire. Flaubert rature ses essais, lui fait reprendre sans cesse son travail de correction et ne l'autorise pas encore à publier. Le dimanche, Maupassant oublie sa morne vie quotidienne et va canoter sur la Seine. Cette vie durera dix ans, marqués par la fréquentation des « mardis » de Mallarmé, par les signes précoces d'une maladie, la syphilis, qui ira en s'aggravant, et surtout par l'amitié intransigeante de Flaubert, « sorte de tutelle intellectuelle », grâce auquel le jeune élève se forge un style limpide et sans redondance.

1.2. Un viveur, et un conteur hors pair

En 1880, Maupassant, faux novice donc en écriture, participe au recueil des Soirées de Médan qui regroupe notamment, sur un thème commun – la guerre de 1870 –, des textes de Zola et de Huysmans. Il y publie Boule de suif, sa seule contribution au naturalisme : c'est aussitôt le succès. Des vers, un recueil poétique, échoue la même année ; désormais Maupassant se consacre à la prose. Il accepte les propositions financièrement séduisantes des journaux et collabore essentiellement au Gaulois et au Gil Blas.

Abandonnant le ministère en 1880, il partage sa vie entre les mondanités, d'innombrables aventures féminines, les croisières (à bord de son yacht le Bel-Ami) et les voyages – en Corse (1880), en Algérie (1881), en Italie (1885 et 1889), en Angleterre (1886) et en Tunisie (1888).

Parallèlement, Maupassant édifie une œuvre importante :

– plus de trois cents contes qu'il réunit en une quinzaine de recueils (la Maison Tellier, 1881 ; les Contes de la bécasse, 1883 ; Miss Harriet, 1884 ; la Petite Roque, 1886) ;

– des romans (Une vie, 1883 ; Bel-Ami, 1886 ; Mont-Oriol, 1887 ; Pierre et Jean, 1888 ; Fort comme la mort, 1889 ; Notre cœur, 1890) ;

– deux cents chroniques, qui font de lui un des plus importants journalistes littéraires de son temps ;

– des nouvelles (le Horla, 1887) – sans compter les journaux de voyage (Au soleil, 1884 ; Sur l'eau, 1888 ; la Vie errante, 1890) et quelques pièces de théâtre (Histoire du vieux temps, 1879 ; Musotte, 1891 ; la Paix du ménage, 1893).

Maupassant fait même œuvre de théoricien dans son étude le Roman (qui constitue une sorte de préface de Pierre et Jean), où il définit son esthétique, fondée sur une observation minutieuse qui ne refuse cependant pas une interprétation personnelle : « Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. »

1.3. Plongées dans l'angoisse

Influencé par les contes fantastiques de Hoffmann et de Poe, Maupassant est hanté par le démon de la peur (le Horla). Ayant suivi les cours de Jean-Martin Charcot, il étudie si bien les diverses aberrations de l'esprit qu'on dira qu'il brosse dans ses contes un tableau complet de nosographie psychiatrique. Ses personnages partagent le goût de la solitude et de la nuit et apparaissent comme des sages désenchantés et sereins que l'angoisse va lentement ravager.

Les angoisses de Maupassant sont cependant bien réelles : souffrant de migraines nerveuses et de la syphilis, abusant de l'éther pour combattre ses maux de tête, l'écrivain alterne périodes de grande fatigue et dépressions. À partir de 1891, il cesse d'écrire, en proie à des hallucinations visuelles qui le conduisent à la folie. Tentant de se trancher la gorge une nuit de janvier 1892, il meurt l'année suivante de paralysie générale, après avoir été interné dans la clinique du Dr Émile Blanche, à Passy.

2. L'œuvre de Maupassant

2.1. Les étapes d’une quête

Flaubert, le maître

Alors qu’il est déjà célèbre, Maupassant revient sur le début de sa carrière. C’est l’occasion pour lui de reconnaître sa dette à l’égard de Gustave Flaubert, tant sur le plan humain qu’artistique.

« Pendant sept ans je fis des vers, je fis des contes, je fis des nouvelles, je fis même un drame détestable. Il n’en est rien resté. Le Maître lisait tout, puis le dimanche suivant, en déjeunant, développait ses critiques et enfonçait en moi, peu à peu, deux ou trois principes […] : « Si on a une originalité, disait-il, il faut avant tout la dégager ; si on n’en a pas, il faut en acquérir une. » » (le Roman, texte en exergue de Pierre et Jean, 1888). Car la littérature est un dépassement, un véritable sacrifice : l’écrivain doit savoir rejeter tout ce qui ne lui est pas propre.

Poésie, théâtre, roman

La publication de Boule de suif, dans le recueil collectif des Soirées de Médan (1880), marque l’aboutissement d’une première période. Maupassant trouve une tonalité singulière, celle du conteur. Son engagement dans la forme littéraire de la nouvelle paraît d’autant plus définitif qu’elle lui permet en fait de recycler une part essentielle de ce qu’il a appris dans ses essais poétiques et au théâtre. L’écrivain désormais renonce à ajuster des rimes et des strophes, à construire des pièces.

Mais il développe un accent lyrique dans la description des paysages, il cisèle des dialogues et fonde la fiction romanesque sur une succession de courtes scènes.

2.2. Du naturel au surnaturel

Réalisme

L’influence de Flaubert a été déterminante quant à la vocation de Maupassant. Elle est aussi très grande à travers la vision et l’approche désabusée du monde, caractéristique de l’aîné et que son cadet lui emprunte. Flaubert révèle à Maupassant les ridicules de la société bourgeoise contemporaine, devant lesquels l’artiste n’a d’autre choix que d’observer et de raconter, d’être celui « qui fouille et creuse le vrai tant qu’il peut » (Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet, 16 janvier 1852).

Dès lors, le pessimisme de Maupassant apparaît lié à sa méthode comme écrivain, tout en reflétant les mouvements intimes de sa conscience. Dans son œuvre, le panorama de la détresse humaine se transforme à mesure que l’auteur appréhende sa propre capacité à comprendre ses semblables, à les dénoncer ou à leur pardonner.

La froide observation, caractéristique du réalisme des premiers textes (La Maison Tellier, 1881 ; Mademoiselle Fifi, 1882), semble s’atténuer lorsque Maupassant ressent les premiers signes de la maladie. « La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit », fait-il conclure à Jeanne de Lamare, l’héroïne de son roman Une Vie (1883).

Scepticisme : l'influence de Schopenhauer

Maupassant admet que la volonté des hommes se plie à une fatalité qui lui est supérieure, suivant le principe d’une illusion universelle. Ainsi reprend-il assez explicitement la doctrine formulée par Schopenhauer – dont l’ouvrage majeur, Le monde comme volonté et représentation paraît dans une traduction française en 1885.

Dans une nouvelle, l’écrivain raconte une veille imaginaire auprès du cadavre du philosophe allemand : « Il a renversé les croyances, les espoirs, les poésies, les chimères, détruit les aspirations, ravagé la confiance des âmes, tué l’amour, abattu le culte idéal de la femme, crevé les illusions des cœurs, accompli la plus gigantesque besogne de sceptique qui ait jamais été faite » (Auprès d’un mort, 1883).

Souvenirs de folie

Le sentiment du néant, s’il naît chez Maupassant d’une déception infligée par les autres et l’univers extérieur, se retourne finalement contre celui qui l’éprouve. La solitude conduit le personnage principal du Horla (1887) à douter de sa propre existence, suivant un processus de dédoublement dont l’écrivain peut avoir observé les progrès sur lui-même.

L’angoisse de la mort s’impose finalement comme un thème dominant et qui résume les autres, de la hantise du vice féminin à la piété pour les êtres faibles (Miss Hariett, 1884), de la fascination de la débauche à la dénonciation de l’hypocrisie (Bel-Ami, 1885).

2.3. Au nom de la vérité

Refus du naturalisme

Développée sur vingt années, l’œuvre de Maupassant trace une évolution particulière. La froideur et l’objectivité qu’il revendique ne conduisent jamais l’écrivain, si proche qu’il soit de Zola vers 1880, à adhérer à la doctrine naturaliste. Loin de chercher à s’effacer de ses livres et à y créer les conditions de neutralité nécessaire à une expérience de type scientifique, Maupassant leur confère une dimension autobiographique grandissante.

Un testament artistique

Dans un texte de caractère théorique et qu’il place en tête de son court roman Pierre et Jean (1888), en guise de préface, Maupassant trace les lignes essentielles de son esthétique, qui est d’abord un bilan des quelque trois cents nouvelles et romans dont il est l’auteur.

Cette esthétique s’articule autour de la notion de réalité, essentielle dans le débat littéraire et artistique des années 1880, et dont Maupassant désigne à la fois les limites et les ressources inépuisables, à travers les relations qu’elle entretient avec une autre notion, celle de vérité.

Dépasser la réalité

Selon Maupassant, la vérité en littérature ne peut être atteinte au terme d’un inventaire laborieux de tous les aspects et de tous les incidents qui composent la réalité : on comprend ici qu’une traversée méthodique de la société et de l’âme humaine, telle que la propose Zola dans ses Rougon-Macquart, est ici critiquée. De fait, affirme encore Maupassant, l’écrivain doit être porteur d’une vision, d’une « vérité choisie et expressive. » La simplicité et la fluidité du style s’avèrent les meilleurs garants dans la tentative de restituer « le mouvement de la vie même » (Le roman, préface de Pierre et Jean, 1888).

Les œuvres de Guy de Maupassant