Algérie : vie politique depuis 1962
Soumise à l’autorité du FLN, parti unique jusqu’en 1989, et de ses leaders (Ahmed Ben Bella, Houari Boumediene, Chadli), la République algérienne s’enfonce dans une guerre civile meurtrière entre 1992 et 1999 opposant l’armée aux islamistes, jusqu’à l’accession au pouvoir (1999-2019) d’Abdelaziz Bouteflika.
1. L'Algérie de Ben Bella (1962-1965)
1.1. La victoire de Ben Bella et de Boumediene
Depuis le mois de mai 1962, une épreuve de force est engagée entre Ben Khedda, d'une part, et Ben Bella, d'autre part. Celui-ci, après avoir regroupé ses partisans (Khider, Boumendjel, Boumediene) en un « bureau politique » installé à Tlemcen, parvient à s'imposer. Une Assemblée nationale constituante, élue le 20 septembre, désigne Ben Bella comme chef du premier gouvernement algérien (29 septembre). Peu après (8 octobre), l'Algérie est admise à l'ONU.
1.2. Difficultés économiques
Le nouvel État s'emploie à réduire l'opposition intérieure (partisans de Messali Hadj, parti communiste et parti nouveau de la Révolution socialiste) et en même temps à résoudre les graves difficultés économiques créées par le départ massif des Européens. Le chômage atteint 70 % des travailleurs (plus de 2 millions de chômeurs) et plus de 1 million d'hectares de terre sont vacants. L'État est ainsi amené à rechercher des solutions socialistes originales, telle la prise en charge des grandes exploitations agricoles par des « comités de gestion » élus par les fellahs.
1.3. Un régime présidentiel autoritaire
La Constitution, approuvée par référendum le 8 septembre 1963, établit un régime présidentiel, avec un parti unique, le FLN de Ben Bella, élu président de la République (15 septembre), détient des pouvoirs très étendus. Il soulève ainsi une opposition libérale. Le chef de cette opposition, Ferhat Abbas, hostile au projet de Constitution, avait démissionné de la présidence de l'Assemblée nationale en août.
Au lendemain d'un congrès réuni à Tizi-Ouzou par Hocine Aït Ahmed, une révolte éclate en Kabylie contre le régime personnel de Ben Bella (septembre). Un conflit frontalier avec le Maroc (octobre 1963) suscite un mouvement patriotique qui favorise l'apaisement. La réunion à Alger du premier congrès du FLN, qui permet une large confrontation des grandes tendances du pays (16-21 avril 1964), agit dans le même sens. Cette conférence marque, d'autre part, une nouvelle étape dans la radicalisation du régime.
1.4. Ben Bella renversé par un putsch militaire
Les divergences entre le parti et l'armée s'accentuent dès lors dangereusement. Ben Bella maîtrise une révolte qui éclate à Biskra (juillet 1964) et fait exécuter son chef, le colonel Chaabani. Mais il est renversé par les militaires (19 juin 1965), qui, sous la direction du colonel Boumediene, instaurent un Conseil de la révolution.
2. L'Algérie, leader du tiers-monde (1965-1978)
2.1. Construction d'un État et d'une armée forts…
Durant treize ans, le colonel Houari Boumediene domine la scène politique algérienne. Il exerce un pouvoir autoritaire, compensé, au plan social, par une redistribution de la rente pétrolière. Les principaux axes de sa politique sont : le développement systématique de l'enseignement ; la récupération des richesses nationales en hydrocarbures ; une politique économique étatiste à coloration marxiste, axée sur l'industrialisation ; une diplomatie offensive qui hisse l'Algérie, héritière d'une guerre de libération constamment rappelée, au rang de pays phare du tiers-monde.
2.2. … en dépit de résistances
La mainmise de Boumediene et de son équipe, constituée essentiellement de militaires, sur tous les rouages politiques – élections communales, promulgation d'une charte et d'un code pour les communes et les wilayas, mise au pas des organisations dépendant du parti unique (syndicats, femmes) – ne va toutefois pas sans contestation. Les anciens chefs de l'armée de libération résistent ; Belkacem Krim, Mohammed Lebjaoui, le colonel Zbiri, chef d'état-major de l'armée, entrent en dissidence. Les étudiants protestent. En 1968, le colonel Boumediene échappe à un attentat. En 1971, la « révolution agraire » permet de mesurer les résistances des campagnes et celles des commerçants à l'étatisation des services.
Mais la nationalisation de toute l'industrie pétrolière (achevée en 1971) et la création de grosses entreprises d'État masquent les troubles internes. Cette politique de nationalisations et de « gestion socialiste » bientôt suivie d'investissements considérables dans l'industrie et les infrastructures – avec leurs retombées sociales (sur l'enseignement, la santé, l'emploi) neutralisant les revendications de collégialité, de démocratie et de libre expression – affermissent le régime.
2.3. Un « nouvel ordre économique international »
Les principaux – et les plus durables – succès de Boumediene tiennent cependant à sa politique extérieure. Un anti-impérialisme militant lors de la IVe conférence des non-alignés, à Alger en 1973 et le lancement à l'ONU en 1974 du concept de « nouvel ordre économique international » vont faire de l'Algérie le point de ralliement de tous les mouvements de libération africains, américains (Black Panthers) et, surtout, de la résistance palestinienne.
Ayant opté pour une ligne dure sur le plan pétrolier, l'Algérie va être la coorganisatrice de l'embargo qui aboutit au premier choc pétrolier et coïncide avec la guerre israélo-arabe de 1973.
2.4. La consolidation du régime
En 1975, Boumediene ouvre une période de concertation contrôlée, suivie de l'adoption (référendum populaire de juin 1976) d'une charte nationale visant à consolider les mutations opérées, puis de l'approbation (nouveau référendum de novembre) d'une Constitution. Candidat unique du parti unique, Boumediene est élu en décembre président de la République algérienne ; il organise, en février 1977, des élections législatives et la mise en place d'une Assemblée nationale.
Mais les relations déjà tendues avec le voisin marocain (en dépit des accords de 1972, restés sans lendemain) se rompent brutalement lors de la crise du Sahara occidental (où l'Algérie soutient le Front Polisario) et l'affrontement des deux armées à Amgalla (janvier 1976).
Tout en maintenant une politique de fermeté à l'extérieur, notamment en contrant les initiatives de paix de Anouar el-Sadate au Moyen-Orient, Boumediene poursuit également son programme de réformes internes. Mais la préparation du congrès du FLN, qui devait être l'étape finale de la réorganisation du régime, est interrompue par son décès, le 27 décembre 1978.
3. Chadli : une progressive remise en cause (1979-1988)
Le 31 janvier 1979, le colonel Chadli, membre du Conseil de la révolution, est porté à la tête du secrétariat général du parti du FLN ; désigné comme candidat unique à la présidence, il est élu le 7 février. La politique qu'il va mener pendant est une remise en cause, prudente et progressive, de celle de son prédécesseur.
3.1. Tournant libéral, rapprochement avec la France, la Tunisie, le Maroc, la Mauritanie
Libéralisant la vie économique, Chadli met un terme à l'option socialiste en « restructurant » les entreprises publiques, première étape de leur privatisation, qui passera aussi par l'autonomie de gestion. Les lois agraires sont modifiées : les terres sont cédées d'abord à leurs occupants et, ensuite, non sans résistances, à leurs anciens propriétaires.
Au plan diplomatique, l'Algérie se rapproche de la France : à partir de 1981-1982, les deux pays retrouvent leurs « relations privilégiées », concluant d'importants accords sur la fourniture de gaz et de gros contrats d'équipement. Chadli améliore également les rapports avec les autres pays maghrébins en signant des traités de fraternité et de concorde avec la Tunisie, puis la Mauritanie, et en rétablissant, à partir de 1983, les relations avec le Maroc. En revanche, il prend ses distances vis-à-vis des problèmes du Moyen-Orient.
Réélu à la présidence en janvier 1984, Chadli fait adopter par l'Assemblée, en 1986, une nouvelle charte nationale qui consacre sa politique : encouragement de l'initiative privée, politique d'arabisation et d'islamisation, engagée dès 1984, avec la mise en place d'un code de la famille, qui est cependant combattu par les féministes et les modernistes.
3.2. La montée des tensions
L'ère Chadli est toutefois marquée par la montée des troubles internes. Dès son entrée en fonctions, les revendications culturelles berbères (avril 1980) et la naissance de la vague islamiste (1981) occupent le devant de la scène. À partir de 1985-1986, la chute des cours du pétrole et la baisse du dollar aggravent considérablement les problèmes sociaux, avec la fin de l'État providence et de tous les avantages matériels qui permettaient de masquer l'absence de démocratie. Dès lors, grèves, manifestations contre la cherté de la vie, contre l'absence de logements et les pénuries, y compris d'eau, contre la privatisation des terres agricoles se multiplient, se muant parfois en émeutes (à Alger, en 1985, puis à Constantine et à Sétif, en novembre 1986).
Parallèlement, les revendications politiques « berbéristes » et, surtout, islamistes se durcissent, entraînant arrestations et procès. Le premier « maquis islamiste » – celui de Mustapha Bouyali – est réduit par des affrontements armés à Larbaa, en janvier 1987, et son chef, tué.
En dépit de la libération de militants démocrates, d'élections législatives qui rajeunissent l'Assemblée (février 1987), de la conclusion de nouveaux accords avec la France et de l'apurement des relations maghrébines en 1988, l'agitation se développe. Elle connaît sa phase maximale en octobre 1988 : six jours d'émeutes à Alger et dans tout le pays, violemment réprimées par l'armée, font plusieurs centaines de morts (essentiellement des jeunes), provoquant un véritable traumatisme.
4. L'explosion islamiste et l'intermède Boudiaf (1988-1992)
4.1. Ouverture contrôlée sur fonds de réislamisation
Réélu à la présidence pour cinq ans (en décembre 1988), Chadli prend des mesures d'ouverture contrôlée : il fait amender la Constitution par référendum (février 1989) dans un sens plus libéral, supprime la référence au socialisme et autorise le multipartisme. Les leaders exilés, comme Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella, rentrent en Algérie, leurs formations sont autorisées, 30 puis 60 partis émergent, les associations (féminines, culturelles) sortent de la clandestinité et une presse d'une grande liberté de ton fait son apparition.
Cependant, le régime ne parvient ni à apaiser l'agitation ni à stopper la remise en cause des options prises depuis l'indépendance. Les mouvements islamistes se regroupent au sein du Front islamique du salut (FIS), créé en février 1989. Les troubles, nés des problèmes sociaux, prennent de plus en plus une tournure politique, et les contestataires s'en prennent aux symboles de l'État et du parti unique (incendie d'un siège du FLN, à Alger en 1989, attaque armée d'un commissariat de la capitale et d'un tribunal à Blida, en 1990).
Une lutte de plus en plus ouverte entre les courants islamistes et modernistes déchire la société algérienne. Impuissant, l'État cherche à donner des gages à l'opposition par une réislamisation rampante mais contrôlée (sur les mosquées et la presse, notamment). Les ouvertures libérales, en particulier la loi sur la monnaie et le crédit, en 1990, se succèdent. Le gouvernement est confié à une fraction dite « réformatrice » du FLN : nommé Premier ministre, Mouloud Hamrouche tente de rétablir la situation économique. Les bonnes relations maghrébines sont confirmées par la création de l'Union du Maghreb arabe (UMA), en février 1989, à Marrakech.
Le 12 juin 1990, le FIS, qui demande la dissolution de l'Assemblée législative, remporte les élections municipales et commence à appliquer la charia dans les communes qu'il a conquises (près de la moitié). D'où des troubles accrus et des agressions contre les femmes. L'échec du FLN consacre la séparation du parti et de l'État : le président de la République, les ministres et les chefs de l'armée quittent les instances du parti.
La guerre du Golfe (août 1990-février 1991) met en sourdine les problèmes intérieurs pendant quelques mois. Initialement réservés sur le soutien à apporter à l'Iraq, le régime – qui avait adopté une position médiane et conciliatrice – et le FIS – qui penchait plutôt pour l'Arabie saoudite – se rallient à l'opinion populaire, très favorable à Saddam Husayn.
4.2. L'interruption du processus électoral et la dissolution du FIS
En mai 1991, le FIS, visant à obtenir l'abrogation des lois électorales, lance une grève générale, qui tourne à l'émeute. L'armée intervient, l'état de siège est instauré et les chefs islamistes sont arrêtés. Une loi d'arabisation et la conclusion d'un accord sur la libéralisation de l'économie avec le Fonds monétaire international (FMI) montrent cependant la permanence des « constantes » de la politique algérienne.
La première attaque islamiste contre un poste militaire à Guemmar (novembre 1991) marque le début de la campagne électorale : celle-ci débouche, fin décembre, au premier tour des législatives, sur une victoire incontestable du FIS, qui remporte 188 sièges sur les 323 attribués.
Aidée par une poignée de démocrates, l'armée décide alors de stopper le processus et d'annuler le second tour des élections ; en janvier 1992, elle obtient la démission de Chadli. Un Haut Comité d'État remplace la présidence de la République et coopte à sa tête Mohamed Boudiaf – un des chefs historiques de la révolution – que l'on va chercher au Maroc où il était exilé depuis 27 ans.
L'état d'urgence est proclamé, le FIS dissous et 12 000 de ses militants sont internés dans des camps, au Sahara ; les mosquées et les assemblées communales sont reprises en main, tandis qu'une relance économique est annoncée. Mais ce qui va devenir la guerre civile algérienne éclate dès février 1992. Parallèlement au maintien de l'ordre, M. Boudiaf tente de relancer la machine économique et de provoquer un sursaut politique, notamment par la lutte contre la corruption et l'installation d'un conseil consultatif, mais il est assassiné le 29 juin 1992, à Annaba, par un membre de sa garde personnelle.
5. La « tragédie nationale » (1992-1999)
De février 1992 jusqu'en 1999, l'Algérie s'enfonce dans une violence endémique qui, peu à peu, va se transformer en une véritable guerre civile. En sept ans, l'engrenage terrorisme-répression va faire 100 000 morts selon les organisations internationales (26 000 officiellement reconnus), sans compter les militaires (le nombre de leurs morts est tenu secret) et les islamistes, dont plus de 20 000 auraient été tués, selon le ministère de l'Intérieur.
5.1. L'installation progressive de la terreur
L'organisation systématique de la terreur évolue : les premières cibles sont les membres des forces de l'ordre, les imams et les remplaçants des élus du FIS à la tête des communes ; puis des intellectuels (l'écrivain Tahar Djaout [mai 1993]), des journalistes, de hauts responsables (l'ancien Premier ministre Kasdi Merbah [août 1993]), des magistrats et une centaine d'étrangers (dont, en 1996, sept moines de Tibehirine et l'archevêque d'Oran, Monseigneur Claverie). Les symboles de l'État sont également systématiquement attaqués : l'aéroport d'Alger (fin 1992), les casernes, les établissements bancaires et scolaires, les équipements urbains…
À partir du début de l'année 1995, les attaques individuelles cèdent la place aux voitures piégées, aux bombes, aux faux barrages militaires ou policiers, aux embuscades. L'ampleur de la violence s'élargit pour prendre, à partir de fin 1996, la forme de massacres systématiques de villageois qui choquent profondément l'opinion publique internationale.
5.2. L'engrenage terrorisme-répression
La répression, elle aussi, évolue : création d'unités militaires (s'ajoutant à une armée de 160 000 hommes) et de cours de justice spéciales, condamnations à mort et exécutions, politique d'armement, appel des réservistes, enfin, ratissage des maquis islamistes par des opérations militaires combinées et massives.
À partir de 1995, la violence se diversifie avec la présence de groupes armés éclatés où chaque branche paraît s'autonomiser. Les deux courants principaux qui se combattent entre eux étant l'AIS (Armée islamiste du salut, issue du FIS) et le Groupe islamiste armé (GIA). Le pouvoir, incapable de « mettre un soldat derrière chaque Algérien », favorise la création de milices (groupes d'autodéfense, gardes communaux et autres patriotes), soit 200 000 hommes armés, dont certains vont multiplier eux-mêmes les exactions.
Dans le même temps, le gouvernement algérien poursuit une politique économique drastique avec l'aide du FMI, de la Banque mondiale, de l'Union européenne et de nombreux bailleurs de fonds, en dépit de son coût social extrêmement lourd (fermeture d'entreprises, surtout publiques, montée du chômage et des prix, dévaluation…).
Il met en œuvre également une restructuration politique, d'abord en entamant un dialogue (1992-1995) avec les forces politiques progressivement amenuisées (il n'y a plus qu'une dizaine de partis), tout en muselant la presse. Les deux tentatives faites par les partis pour sortir de la crise par la négociation, y compris avec le FIS, pourtant dissous, – la conférence de Sant'Egidio, à Rome, en novembre 1994 et l'appel à la paix en novembre 1996, – sont rejetées. Les courants démocrates se trouvent par ailleurs divisés en deux tendances antagonistes : d'une part, les « éradicateurs » regroupant d'anciens communistes et le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), parti créé sur la base de l'ancienne revendication berbériste ; d'autre part, les « dialoguistes », représentés par les formations de Hocine Aït Ahmed (Front des forces socialistes, ou FFS) et de Ben Bella (Mouvement pour la démocratie en Algérie, ou MDA).
5.3. Vers l'apaisement
À partir de l'élection présidentielle du 13 novembre 1995, qui plébiscite Liamine Zeroual, la restructuration politique s'accélère : réforme constitutionnelle (28 novembre 1996), création, en janvier 1997, du Rassemblement national démocratique (RND), parti du président, qui va remporter les élections législatives de juin, les communales d'octobre et dominer une seconde instance parlementaire (de type sénatorial) nouvellement créée, en décembre 1997.
Le pouvoir s'ouvre aux islamistes modérés du Hamas et poursuit sa politique de réislamisation et d'arabisation (loi du 5 juillet 1998), en dépit des problèmes qu'elle suscite en Kabylie, aggravés par l'assassinat du chanteur Lounès Matoub (juin 1998).
Depuis qu'en octobre 1997, l'Armée islamiste du salut (AIS), effrayée par la dérive sanglante des GIA, a décrété une trêve unilatérale et sans contrepartie, les observateurs considèrent que le pouvoir algérien n'est plus en péril, même si la guerre civile est loin d'être terminée.
À l'extérieur, la situation algérienne a provoqué des réactions de plus en plus marquées devant l'ampleur des massacres et les graves atteintes aux droits de l'homme. Restée très prudente, la France ne peut cependant pas faire abstraction de la mort de citoyens français (tous les étrangers ont commencé à quitter le pays entre 1993 et 1995, ainsi que plus de 400 000 Algériens), de l'attaque contre un Airbus à Alger (fin 1994) et surtout des attentats meurtriers commis à Paris en 1995-1996.
Quant aux relations maghrébines, elles se sont à nouveau tendues depuis 1994. Refusant fermement toute ingérence internationale dans ses problèmes internes, l'Algérie, qui a rétabli depuis 1996-1997 sa situation financière et accueille de plus en plus d'investisseurs étrangers, a néanmoins commencé à prendre en compte les revendications unanimes de rétablissement des équilibres sociaux et politiques.
Dans ce contexte, la décision du président Zeroual, annoncée le 11 septembre 1998, d'écourter son mandat prend de court les observateurs et les acteurs de la vie politique algérienne. Elle illustre la fragilité du pouvoir militaire, dans une situation sociale très tendue.
6. Les présidences d'Abdelaziz Bouteflika (1999-2019)
6.1. Premier mandat
Les premières offres de dialogue
Une campagne électorale relativement libre laisse entrevoir une possibilité de changement dans la vie politique du pays. Mais, à la veille du scrutin (avril 1999), six des sept candidats à l'élection se retirent, dénonçant les « fraudes massives » en faveur d'Abdelaziz Bouteflika, qu'ils considèrent comme le candidat du pouvoir. Selon les résultats officiels, contestés par l'opposition, ce dernier obtient 73,8 % des suffrages, avec une participation dépassant 60 %.
Fort de ce succès, Abdelaziz Bouteflika appelle à un dialogue sans exclusive, notamment avec les islamistes. Une loi sur la concorde civile, octroyant une amnistie conditionnelle aux islamistes, est soumise à référendum en septembre. Avec près de 99 % de « oui » et un taux de participation record (85 %), ce référendum-plébiscite réussit de surcroît à légitimer le nouveau président et à lui donner une marge de manœuvre utile pour engager de profondes réformes. Pourtant, le pays reste en proie aux assassinats (un des hauts responsables de l'ex-Front islamique du salut encore en liberté, Abdelkader Hachani, est tué en novembre à Alger) et aux tueries.
Fin décembre 1999, un nouveau gouvernement est enfin constitué, avec des proches de Bouteflika aux postes clés. Dirigé par Ahmed Benbitour, il a la lourde tâche de mettre en œuvre le programme de redressement économique du président. Malgré la hausse du cours du pétrole qui parvient à renflouer les finances publiques, les conditions de vie des Algériens continuent de se dégrader. En août 2000, le président accepte la démission de A. Benbitour – avec lequel il entretient depuis plusieurs mois de mauvaises relations – et investit à ce poste Ali Benflis, qui reconduit la plupart des ministres de l'équipe précédente.
Mais les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances du peuple algérien : l'immobilisme a finalement prévalu en matière économique et sociale, tandis que le climat de violence à l'intérieur du pays perdure, les différentes initiatives du président Bouteflika pour y mettre fin ayant échoué, y compris celle lancée en février 2001 sous le nom de « concorde nationale ». Alors que les attaques se multiplient contre le président de la part des partis alliés au pouvoir, l'implication de l'armée algérienne dans certains massacres se retrouve débattue sur la place publique à la suite de la publication en France de deux livres sulfureux (dont l'un a pour auteur un ex-agent secret et l'autre un ex-officier des forces spéciales), déclenchant une immense polémique au grand dam des autorités algériennes. En novembre 2001, l'incurie du gouvernement lors des pluies torrentielles de novembre à Alger qui causent plusieurs milliers de morts dans le quartier de Bab el-Oued, alimente le ressentiment de la population à l'encontre du gouvernement.
La révolte kabyle
En 2001, les autorités algériennes sont ébranlées par les émeutes en Kabylie, déclenchées en avril après le meurtre d'un jeune Kabyle dans un commissariat de police. Les difficultés économiques et sociales ainsi que l'avortement du processus de démocratisation alimentent les frustrations de la population dans une région traditionnellement rebelle, où les revendications identitaire et linguistique restent fortes. Alors que les affrontements entre jeunes manifestants et forces de l'ordre s'intensifient, faisant des dizaines de morts et plusieurs centaines de blessés, la quasi-absence de réactions des autorités algériennes est vivement critiquée par l'opposition (à la tête de laquelle se trouve le FFS de Hocine Aït Ahmed) et par une grande partie des Algériens.
La création d'une commission d'enquête, le 30 avril, ne suffit pas à ramener le calme. Le 1er mai, le gouvernement perd ses derniers alliés dans la région après la démission des deux ministres du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Saïd Sadi, parti bien implanté en Kabylie. Au cours du mois de juin, les troubles s'étendent dans l'Est et dans les principales villes du pays. Le 14, une grande manifestation est organisée à Alger ; tournant rapidement à l'émeute, elle est durement réprimée. Les manifestations dans la capitale sont aussitôt interdites.
Les autorités jouent d'abord le pourrissement, se contentant d'entretenir les divisions au sein de la Coordination des arouchs (tribus), comité de village et de quartier qui prend la tête du mouvement. Puis elles tentent de convaincre de leur bonne volonté en accédant à certaines des revendications des Kabyles (telles l'indemnisation des victimes des émeutes ou l'amendement à la Constitution adopté par le Parlement en avril 2002 et qui fait du tamazight une langue nationale) et par des gestes d'apaisement, comme le retrait de quelques unités de gendarmerie présentes dans la région. Mais cela ne suffit pas et la Kabylie, toujours en ébullition, continue à contester l'autorité de l'État en s'attaquant à ses symboles (bâtiments publics), en maintenant en quarantaine ses gendarmes ou encore en criant son mécontentement lors de manifestations, qui se terminent souvent en affrontements.
Le « ras-le-bol » exprimé en Kabylie déborde en outre largement le cadre régional ; en effet le divorce est total entre une jeunesse sans perspective et un pouvoir vieillissant qui s'appuie sur une armée réputée corrompue et qui administre une fois de plus la preuve de ses insuffisances lors du tremblement de terre à Réghaïa en mai 2003.
La rivalité Ali Benflis-Abdelaziz Bouteflika dans la course à la présidence
Les élections législatives de mai 2002, marquées par la faiblesse du taux de participation (46,1 %, et beaucoup moins en Kabylie), voient le retour en force du FLN de A. Benflis, qui devance le RND d'Ahmed Ouyahia. Le premier se succède tout naturellement en juin à la tête d'un gouvernement très largement FLN et comprenant cinq femmes. Son parti, qui sort également largement vainqueur des élections locales d'octobre 2002, le plébiscite et le reconduit pour cinq ans au secrétariat général, avec des prérogatives élargies lors du congrès de mars 2003, s'engageant un peu plus dans la voie de la rénovation.
À l'inverse, les partisans du chef de l'État se voient écartés des instances dirigeantes. Mais en mai 2003, rejetant toute possibilité de bicéphalisme, Abedlaziz Bouteflika limoge son Premier ministre et le remplace par A. Ouyahia (déjà chef du gouvernement de 1995 à 1998). Durant l'été, au terme de leur peine de douze ans d'emprisonnement, les deux chefs historiques du FIS, Abassi Madani et Ali Benhadj, sont libérés, tandis que les autorités annoncent la création d'une Commission sur les disparus, reconnaissant par là même une partie de leurs responsabilités dans la guerre contre les islamistes et développant la politique de dialogue prônée par le chef de l'État.
En revanche, la tension prévaut entre le FLN et celui-ci, qui limoge, en septembre, sept ministres, dont six membres de ce parti soutenant A. Benflis. Un mois plus tard, au cours d'un congrès extraordinaire (bien qu'interdit), le FLN fait de ce dernier son candidat officiel à l'élection présidentielle de 2004 et renonce à sa participation au gouvernement. Mais, le 30 décembre, la justice suspend les activités du FLN, brisant momentanément les ambitions électorales de son secrétaire général. Outre cette opposition interne, le pouvoir en place doit faire face à de multiples mouvements de mécontentement (émeutes contre la corruption et l'arbitraire nées de la misère sociale, en particulier dans le Sud, et grève très dure des enseignants de septembre à novembre 2003).
Réélection d'Abdelaziz Bouteflika
Le président Bouteflika, qui bénéficie pendant la campagne présidentielle de 2004 du soutien de l'administration, des médias et d'une armée officiellement désengagée de la consultation, est facilement reconduit dans ses fonctions le 8 avril, remportant 84,99 % des suffrages exprimés, devant A. Benflis, son principal rival, qui ne recueille que 6,42 % des voix. L'islamiste Abdallah Djaballah obtient 5,02 % des suffrages et Saïd Sadi, le président du RCD, 1,94 %. La médiocre participation (57,78 %) – qui dénote le désintérêt de la population pour ce troisième scrutin pluraliste du pays – masque en outre une abstention massive, de l'ordre de 80 %, en Kabylie, où les assemblées traditionnelles ont appelé au boycott. Le FFS, estimant le maintien de l'état d'urgence incompatible avec la tenue du scrutin, et bien implanté dans la province, a lui aussi préconisé l'abstention, tout comme un certain nombre de leaders islamistes. La réélection quasi automatique du président Bouteflika tient aussi à la division et à la faiblesse de l'opposition ainsi qu'à l'absence de toute véritable stratégie de sa part.
6.5. Second mandat
Reprise en mains ...
Réélu, le président reprend le contrôle du FLN et fait élire à sa tête Abdelaziz Belkhadem. Il s'emploie à relancer les réformes, notamment par un Plan de soutien à la croissance (amélioration des infrastructures, diversification et libéralisation de l'activité, ouverture de l'économie), qui accompagne une certaine prospérité, malheureusement en fait essentiellement liée à l'essor des hydrocarbures, et ne trouvant guère de traductions concrètes dans le quotidien des habitants. Il poursuit le processus de normalisation, sans toutefois pleinement rétablir les libertés : la presse reste muselée et les opposants ainsi que la Kabylie, sous haute surveillance (dissolution des institutions locales à l'été 2005), tout comme le reste des provinces (agitation sporadique dans l'Est au cours de 2005).
La lutte contre les terroristes reste une priorité, comme en témoigne la décapitation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) : élimination en juin 2004 de son chef Nabil Sahraoui, puis, en octobre, remise aux autorités par des rebelles tchadiens qui l'ont capturé d'Amiri Saïfi, dit Abderrazak le Para, le numéro deux.
La sécurité s'améliore (le chiffre des morts « tombe » aux environs de 15 par semaine). Parallèlement, Bouteflika, désireux d'engager le dialogue avec les chefs religieux les moins radicaux, et se faisant l'écho d'une aspiration générale à la paix civile, met en œuvre une politique de « réconciliation nationale » qu'il fait adopter par référendum en septembre 2005 (avec officiellement 97 % d'approbation et une participation avoisinant les 80 %) et procède à la libération de centaines de dirigeants islamistes. En contrepartie, il ne peut être engagé contre l'État aucune action relative au conflit des années 1990.
.... sur fonds de violence
Mais la majorité du GSPC n'a cure de ce développement : en septembre 2006, il fait connaître son allégeance à l'internationale djihadiste de Ben Laden et devient à partir de janvier 2007 l'Organisation al-Qaida au pays du Maghreb islamique (AQMI). D'où la permanence voire l'intensification des attentats spectaculaires à partir de décembre 2006 et tout au long de l'année 2007. Les opérations terroristes se multiplient tout particulièrement en septembre (le 6, un attentat vise le président Bouteflika lors de sa visite à Batna, à l'est du pays, et fait 22 morts ; le 20, dans une vidéo, le numéro deux d'al-Qaida appelle à soutenir AQMI et à débarrasser le Maghreb des ressortissants européens). Malgré l'élimination d'islamistes et la reddition du fondateur du GSPC, Hassan Hatab, à la fin du mois, la situation est loin d'être maîtrisée par les autorités, comme en témoigne le double attentat meurtrier du 11 décembre à Alger qui montre qu'AQMI entend bien profiter de l'atmosphère de transition qui règne au sommet du pouvoir.
Vers la pérennisation du pouvoir
Depuis novembre 2005 et son long séjour à Paris pour raisons médicales, Abdelaziz Bouteflika paraît très affaibli et son état de santé nourrit régulièrement de nombreuses spéculations. Il change de Premier ministre en mai 2006, remplaçant A. Ouyahia par le secrétaire général du FLN, A. Belkhadem, afin de réviser la Constitution et de pouvoir briguer un troisième mandat. Mais, malgré de nombreux appels en ce sens, la réforme ne voit pas immédiatement le jour.
Aux législatives de mai 2007, la victoire de l'Alliance présidentielle FLN-RND-MSP (Mouvement de la société pour la paix, ex-Hamas, islamiste modéré) face à une opposition divisée est éclipsée par le très faible taux de participation (35,5 %). Dans ce contexte, les élections locales de novembre revêtent un enjeu supplémentaire : leurs résultats (une participation qui « remonte » à près de 44 %, avec 30 % pour le FLN, 24,5 % pour le RND, et un recul des partis islamistes légaux) rassurent quelque peu le pouvoir, même si, en définitive, ils révèlent l'inquiétante indifférence d'une population avant tout en proie aux difficultés du quotidien.
Violence et attentisme
L'année 2008 prolonge ce climat à la fois de violence et d'attentisme : elle égrène en effet les attentats qui visent le plus souvent les forces de l'ordre (le 2 janvier dans la région de Boumerdès, le 29 à Thénia, le 6 février à Tizi-Ouzou, le 8 à El-Oued, le 4 juin dans la banlieue d'Alger, le 5 à nouveau à Cap Djinet, le 8 sur un chantier ferroviaire à Lakhdaria, le 3 août contre le siège des renseignements généraux à Tizi-Ouzou en Kabylie...). L'opération menée contre un groupe de jeunes moudjahidin, qui fait 12 morts parmi les islamistes à Tizi-Ouzou le 8 août, déclenche des représailles sanglantes de la part d'AQMI : le 10, un poste de gendarmerie est pris pour cible à Zemmouri ; le 14, le commandant du secteur militaire de la région de Jijel ainsi qu'un soldat trouvent la mort dans une embuscade ; une autre fait 12 victimes, dont 8 policiers et 3 militaires le 17 à Skidda ; puis c'est une école de gendarmerie qui est attaquée le 19 aux Issers, faisant 48 morts et autant de blessés ; et deux explosions à la voiture piégée secouent Bouira le 20, etc.
Par ailleurs, la colère monte à nouveau contre l'impéritie des autorités, nationales ou locales : ainsi des manifestations agitent-elles Chlef et sa région à la fin d'avril, en marge du procès de Mohamed Yacoubi, président de la coordination des sinistrés du tremblement de terre de 1980, qui a le tort de dénoncer l'annulation de l'indemnisation des victimes et le sort qui leur est toujours réservé. Qui plus est, le gouvernement se montre impuissant face aux pluies torrentielles d'octobre et aux inondations catastrophiques qui endeuillent, entre autres, Ghardaïa et ses alentours.
Pourtant, soucieux de redonner un nouveau souffle à l'exécutif, et notamment à son action économique, Bouteflika a remanié son cabinet à la fin juin : Ahmed Ouyahia est à nouveau nommé Premier ministre, en remplacement d'A. Belkhadem qui reste dans l'équipe, en tant que ministre d'État. Mais force est de constater que ce gouvernement est avant tout un gouvernement de transition, chargé de préparer la réélection du président. En effet, le 29 octobre, Abdelaziz Bouteflika annonce son intention d'opérer par voie parlementaire une révision partielle de la Constitution afin de lui permettre de briguer un troisième mandat. Après l'obtention du feu vert du Conseil constitutionnel, celle-ci est finalement adoptée le 12 novembre. Dès lors commencent les manœuvres en vue du scrutin présidentiel du 9 avril.
6.6. Troisième mandat
Faible participation pour une mascarade électorale
En janvier 2009, pour protester contre ce qu'ils estiment être une mascarade électorale, les principaux responsables de l'opposition, Saïd Sadi, du RCD, et Hocine Ait Ahmed, du FFS (Front des forces socialistes), s'entendent pour boycotter le scrutin. Inquiet des conséquences d'une telle décision sur la mobilisation citoyenne, A. Belkhadem – en tant que secrétaire général du FLN et soutier du président – appelle à l'émergence d'autres candidatures que celle de Bouteflika, qui ne fait alors plus de doute. Le 12 février, elle est d'ailleurs officielle.
Six autres postulants s'engagent à partir de mars dans une campagne atone, dont la seule inconnue est le taux de participation. De fait, le verdict des urnes le 9 avril consacre le triomphe du président sortant, qui remporte plus de 90 % des voix, très loin devant celle qui a fait figure de principal challenger, Louisa Hanoune, du parti des Travailleurs (trotskiste), avec quelque 4 % des suffrages. Si la participation, officiellement établie aux alentours de 74 %, dément l'absence d'intérêt des Algériens pour le scrutin, les accusations de fraude et notamment de bourrage des urnes qui font florès tendent à la placer en fait autour de 35 % – un taux bas susceptible de remettre en cause la légitimité du président réélu.
La lutte contre le terrorisme
Une fois réinstallé, Abdelaziz Bouteflika reconduit le 28 avril son gouvernement, à un portefeuille près, et le charge de mettre en œuvre le plan de développement de 114 milliards d'euros promis pendant la campagne. Par contre, face au regain de violence (5 gendarmes tués dans la région de Médéa le 20 mai, 9 militaires tombés dans une embuscade près de Biskra le 26, annonce de l'exécution de l'otage britannique détenu par AQMI le 31 mai, 10 morts dans l'explosion d'une bombe à Timezrit le 2 juin, 19 gendarmes et 2 civils victimes d'un raid dans la wilaya de Bordj Bou Arreridj le 17 juin...), l'amnistie générale évoquée au même moment ne semble plus à l'ordre du jour.
Après une baisse de la violence en 2010, les attaques terroristes visant les forces de l’ordre connaissent en 2011 une intensification qui culmine le 26 août avec deux attentats-suicide contre l’Académie militaire Interarmes de Cherchell. Certains mettent alors en cause un relâchement des opérations antiterroristes qui reprennent pourtant en 2012, se concentrant sur les bastions de la nébuleuse AQMI en Kabylie (régions de Boumerdès, Tizi Ouzou, Bouira et Béjaïa) et obtenant certains succès avec le démantèlement de cellules et l’arrestation ou l’élimination de plusieurs de ses dirigeants.
Les groupes agissant dans le Sud ont en revanche prospéré sur une vaste bande sahélienne dans les régions frontalières avec le Mali, le Niger et la Mauritanie se livrant à divers trafics et procédant à l’enlèvement de ressortissants occidentaux. Certains d’entre eux ont profité de la guerre civile en Libye (mars-octobre 2011) pour s’approvisionner en armes et recentrent leurs opérations dans le nord du Mali au cours de l’année 2012. Mais alors que la France intervient militairement contre ces combattants djihadistes en janvier 2013 – et obtient l’autorisation de survoler l’espace aérien algérien –, le sud-est du pays est le théâtre d’une spectaculaire et meurtrière prise d’otages (38 personnes qui travaillaient sur place meurent sous le feu croisé des preneurs d'otages et de l'armée algérienne) sur le site gazier de Tiguentourine (à 1 300 km d'Alger et à 40 km de la ville d’In Amenas), une action préparée de longue date semble-t-il, par un commando créé par un des « émirs » d’AQMI. L’Algérie, dont les intérêts stratégiques vitaux ont été visés, est ainsi replacée au premier plan dans la lutte antiterroriste dans la région saharo-sahélienne.
Comment désamorcer la contestation ?
Soucieux d'empêcher sur son territoire tout mouvement d'ampleur de l'ordre de ceux que connaissent la Tunisie, l'Égypte et la Libye depuis la fin de l'année 2010, le pouvoir algérien, confronté à une série d'émeutes contre la hausse des prix en janvier 2011, s'évertue à désamorcer toute manifestation par une présence policière massive, par la levée officielle, le 24 février, de l'état d'urgence (sauf à Alger) et par la promesse d'annuler les récentes hausses de prix. Outre l’intimidation exercée par les forces de l’ordre, la faiblesse de l’opposition explique aussi l’échec relatif de la mobilisation politique et des initiatives de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) réunissant divers syndicats autonomes, des organisations de la société civile, la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme ainsi que des partis comme le RCD et le PLD (parti pour la Laïcité et la Démocratie, non reconnu). Ses « marches » sont ainsi soient avortées soient vite dispersées par la police.
En revanche, la mobilisation sociale dans de nombreux secteurs de la société (étudiants, enseignants, professionnels de la santé, cheminots, certains personnels de la Sonatrach…) se poursuit, incitant le gouvernement à faire des concessions d’ordre économique et social. Tentant de prévenir une extension politique de cette vague de mécontentements, A. Bouteflika annonce, le 15 avril, plusieurs réformes en vue de « renforcer la démocratie », dont la mise en place d’une commission chargée de proposer des amendements constitutionnels, la modification du code électoral et de la loi sur les partis, une révision du code de l'information et la dépénalisation du délit de presse.
Ne mentionnant aucune mesure précise concernant notamment la légalisation des partis non autorisés, la liberté de manifester ou encore la dissolution de l’Assemblée, le discours du chef de l’État est accueilli avec scepticisme par une grande partie de l’opposition et de la presse indépendante. Adoptées en novembre et décembre 2011, mais davantage octroyées et encadrées par le pouvoir que négociées avec l’ensemble des intéressés et des forces politiques, ces réformes sont sévèrement critiquées par une grande partie de l’opposition et de la presse indépendante.
Le « printemps » du FLN
En janvier 2012, dans la perspective des élections législatives de mai, les islamistes du MSP décident de se retirer de la coalition gouvernementale tout en maintenant leurs ministres. Plus de 40 partis, dont 21 nouvellement agréés, et plus de 2 000 listes participent à ce scrutin présenté comme décisif. Espérant l’aborder ainsi en position de force, les trois partis islamistes (MSP, Ennahda et El Islah) forment une « Alliance de l’Algérie verte ».
Si la représentation des femmes augmente de 116 sièges avec près d’un tiers des députés, l’équilibre des forces politiques reste le même qu’en 2007, les partis au pouvoir l’emportant largement : le FLN vient en tête avec 221 députés sur 462, une victoire éclipsant ses divisions internes et la contestation de la direction d’Abdelaziz Belkhadem ; le RND du Premier ministre obtient 70 sièges devant l’Alliance verte qui ne parvient à fait élire que 47 députés. Viennent ensuite le Front des Forces socialistes (FFS, 21 députés), les Indépendants (19) et le parti des Travailleurs (17) suivis d’une vingtaine de formations obtenant chacune de 1 à 10 sièges.
L’opposition et l’Alliance verte dénoncent la fraude et le bourrage des urnes. Mais l’insuccès des islamistes s’explique probablement aussi par leur association au pouvoir outre les séquelles et le souvenir de la guerre civile. De son côté, le RCD, qui a boycotté les élections, salue l’abstention, très sous-estimée selon certains (57 % contre plus de 64 % en 2007) de la grande majorité des Algériens, une indifférence que ne saurait masquer le lancement, le 5 juillet, de nombreuses festivités pour célébrer le 50e anniversaire de l’indépendance du pays.
Le 4 septembre, au terme de près de quatre mois d’immobilisme, c’est finalement Abdelmalek Sellal, un technocrate sans appartenance politique et un proche du président Bouteflika, qui remplace A. Ouyahia au poste de Premier ministre. Si certains fidèles du président (dont A. Belkhadem) sont écartés, le remaniement gouvernemental reste limité : 11 nouveaux ministres sur 35 sont nommés mais les titulaires des ministères stratégiques – Intérieur, Affaires étrangères, Énergie – sont maintenus. En janvier 2013, la mise à l’écart de A. Belkhadem est confirmée par le comité central du FLN par 160 voix contre 156.
6.7. Un quatrième mandat très contesté
La réélection de 2014
En avril 2013, la santé du président se détériore sérieusement : victime d’un accident vasculaire cérébral, A. Bouteflika doit être hospitalisé à Paris jusqu’à la mi-juillet. Durant sa convalescence à Alger, ses apparitions se font très rares et le doute s’installe sur sa capacité à exercer ses fonctions. L’état d’empêchement prévu par l’article 88 de la Constitution est ainsi évoqué, mais sa candidature à l’élection présidentielle du 17 avril 2014 est annoncée malgré tout en novembre par Amar Saadani (secrétaire général du FLN depuis septembre), avant d’être confirmée par le Premier ministre en février et officiellement par l’intéressé le 3 mars d’une voix trahissant son très net affaiblissement.
En l’absence du président-candidat qui ne participe à aucun de ses meetings, ses ministres se chargent de cette campagne électorale inédite dont la direction est confiée à A. Sellal. De leur côté, plusieurs partis d’opposition laïcs et islamistes parmi lesquels le MSP, Ennahda et le RCD, appellent à boycotter le scrutin, considéré comme une mascarade, une décision également prônée par le mouvement citoyen Barakat (« ça suffit »), créé au lendemain de l’annonce de la candidature de Bouteflika. En réponse à cette contestation, les représentants du camp présidentiel se contentent avant tout de vanter le bilan gouvernemental, de rappeler aux électeurs le rétablissement de la paix civile et de brandir les menaces de désordre, voire de déstabilisation, afin de justifier le maintien du statu quo. Seul adversaire susceptible de drainer le mécontentement, A. Benflis se présente pour la seconde fois, soutenu semble-t-il, discrètement, par une partie de l’establishment.
Sans surprise, A. Bouteflika l’emporte dès le premier tour avec environ 81 % des voix. En baisse par rapport à 2009, le taux de participation atteint, officiellement, 51,7 %, mais ne dépasse pas 38 % à Alger tandis qu’il avoisine 22 % en Kabylie. S’il est indéniable que le président conserve des soutiens dans la population, le résultat est vivement contesté par A. Benflis (crédité de 12 % des suffrages) qui dénonce « une fraude massive » et annonce son engagement plus actif dans la vie politique.
6.8. L'Algérie et le monde
Le retour de l'Algérie sur la scène internationale
Abdelaziz Bouteflika fait du retour de l'Algérie sur la scène internationale une de ses priorités.
Le président lance des messages d'ouverture aux États-Unis, à l'Union européenne – à l'Espagne et à la France notamment. Alger noue le dialogue avec l'OTAN, poursuit les négociations avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'Algérie renforce (notamment à partir de 2006) ses relations avec la Russie, entame un rapprochement économique avec la Chine et annonce la révision de ses rapports avec le Maroc (malgré un regain de tension à partir de 2006). Elle restaure ses liens avec les pays arabes et africains ; Alger offre sa médiation à propos du conflit Éthiopie-Érythrée en 1999-2000 ; participe à la fondation du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) avec l'Afrique du Sud et le Nigeria en 2001 ; s'implique dans la résolution de la question touareg au Mali en 2006…
Si ces initiatives sont loin de toutes aboutir, elles n'en constituent pas moins autant d'occasions de renforcer les contacts bilatéraux et de peser dans les questions multilatérales. Ainsi, en avril 2002, l'Algérie signe-t-elle avec l'UE un accord d'association, qui la fait entrer dans un partenariat euro-méditerranéen et ouvre des perspectives de libre-échange.
Cependant, son attachement au principe de souveraineté des États reste indéfectible et va de pair avec une grande méfiance à l’égard des « printemps arabes ». Hostile à l’intervention internationale contre le régime de Muammar Kadhafi en Libye (2011), elle reste également très prudente face à la guerre civile en Syrie. Privilégiant aussi la négociation politique dans la crise au Mali, elle donne pourtant finalement son aval à la France lors de son intervention militaire dans ce pays en janvier 2013, un infléchissement lié à l’amélioration des relations entre les deux pays.
Des relations avec la France entachées par de nombreux différends
En mars 2003, l'Algérie accueille Jacques Chirac : cette première visite d'État d'un président de la République française depuis l'indépendance symbolise la volonté de rapprochement et de coopération entre les deux pays et débouche sur la signature de la Déclaration d'Alger qui vise à construire les bases d'un échange politique, économique, culturel, scientifique et technique comme à faciliter la circulation des personnes.
Le traité d'amitié franco-algérien est lancé lors de la rencontre des chefs d'État qui a lieu à Alger en avril 2004. Mais ce nouvel élan se brise sur un différend mémoriel : le 25 février 2005, le Parlement français vote un texte reconnaissant le « rôle positif » de la colonisation, qui, quoique abrogé par J. Chirac, irrite Alger et empoisonne durablement les relations avec Paris. Le traité d'amitié franco-algérien est repoussé sine die.
L'élection en mai 2007 de Nicolas Sarkozy, pourtant impopulaire en Algérie, relance la coopération entre les deux pays. Une première rencontre entre les deux chefs d'État à Alger en juillet 2007 précède la visite officielle de décembre du président français, au cours de laquelle, sans aller jusqu'à présenter les excuses de la France, il dénonce les méfaits de la colonisation et tend à apurer le contentieux, afin de mieux asseoir son projet d'Union euro-méditerranéenne.
Mais Alger fait entendre une voix quelque peu discordante, s'interrogeant notamment sur sa place dans le partenariat, alors que Paris donne l'impression de privilégier le Maroc et la Tunisie. En outre, les responsables algériens réclament des « précisions et des clarifications » sur la participation d'Israël au projet, craignant que celle-ci n'engage une normalisation déguisée avec l'État hébreu. Après avoir fait planer des doutes sur sa présence à Paris pour le lancement le 13 juillet 2008 de l'Union, le président algérien finit par répondre favorablement à l'invitation de N. Sarkozy et rejoint les délégations des 43 autres États ou membres associés. Et, bien que mécontent du traitement médiatique hexagonal de l'élection présidentielle du 9 avril 2009, il adopte un ton mesuré lors de la commémoration des massacres de Sétif du 8 mai 1945, appelant à la définition d'une « voie originale » pour « surmonter les traumatismes » qui affectent les relations entre les deux pays.
Mais le report sine die de sa visite en France prévue pour juin ravive toutes les supputations sur le poids des différends qui continuent de les séparer. En janvier 2010, l'inscription par Paris, à la suite de Washington, de l'Algérie sur la liste noire des pays à risque en matière de sécurité aérienne, irrite particulièrement les autorités algériennes qui se réclament de la lutte antiterroriste qu'elles mènent depuis des années en collaboration avec Européens et Américains.
La visite du président François Hollande, en décembre 2012, marque une amélioration notable des relations entre les deux pays. Tout en excluant la repentance, le discours du chef de l’État (avec notamment la reconnaissance des massacres de Sétif) est relativement bien accueilli. Une « Déclaration sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie » est signée à cette occasion en vue de « développer un partenariat exemplaire et ambitieux, fondé sur l’égalité, le respect mutuel, l’équilibre des intérêts et la solidarité ». Un Comité intergouvernemental de Haut niveau, présidé par les deux Premiers ministres, est institué. Ce partenariat est réaffirmé lors de la visite officielle du président Emmanuel Macron en décembre 2017, qui débouche sur plusieurs accords dans les secteurs de la santé, de la formation professionnelle, de l’électricité, de l’agroalimentaire, de l’entreprenariat, du livre et de l’enseignement supérieur. La convention d’entraide judiciaire entre en vigueur en mai 2018.
7. L’Algérie après l’éviction d’A. Bouteflika (2019-)
Malgré son état de santé de plus en plus déclinant, A. Bouteflika est choisi par les cercles du pouvoir algérien – le « clan Bouteflika » gravitant autour de Saïd, frère cadet du président – comme candidat pour un cinquième mandat à l’élection présidentielle, fixée en avril 2019. Cette candidature provoque alors, à partir du 22 février, un soulèvement massif de la population qui prend les dirigeants et l’armée de court.
Après un temps d’hésitation, face à l’ampleur de ces manifestations pacifiques, l’armée, représentée par son chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, se résout à demander l’application de l'article 102 de la Constitution, prévu en cas d’empêchement du chef de l’État. A Bouteflika démissionne finalement le 2 avril. Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la nation, lui succède par intérim et annonce un nouveau scrutin. Nommé en mars, le Premier ministre Noureddine Bedoui est maintenu à son poste.
Loin de s’essouffler, la contestation se poursuit et la mobilisation de la population ne faiblit pas. La formation d’un gouvernement de transition composé de personnalités indépendantes, des élections législatives anticipées démocratiques et transparentes, une réforme de la Constitution font partie des revendications de ce mouvement protéiforme, qui veut rompre résolument avec un régime sclérosé et délégitimé, aux yeux notamment de la jeunesse que l’on croyait dépolitisée ou résignée.
Si une purge est déclenchée et certains proches de l’ex-président sont écartés (dont son frère, condamné à quinze ans de prison pour « complot contre l'autorité de l'État » en septembre), le dialogue avec l’opposition et la « société civile » fait long feu, le pouvoir pensant canaliser la contestation.
La pression policière et judiciaire sur l’opposition s’accroît et l’élection présidentielle, reportée à trois reprises, est fixée au 12 décembre. Ne réunissant pas les conditions de régularité exigées, cette nouvelle élection est rejetée par le mouvement populaire (hirak), qui poursuit ses manifestations demandant l’annulation du scrutin ou prônant le boycott, tandis que plusieurs dirigeants, dont le général Salah, tentent de discréditer les opposants.
Parmi les cinq candidats se présentant à cette élection, issus pour la plupart du sérail ou liés au pouvoir, Abdelmadjid Tebboune, ancien Premier ministre très éphémère d’A. Bouteflika (mai-août 2017), l’emporte avec environ 58 % des suffrages.
Les manifestations reprennent, alors que le nouveau président entre en fonctions le 19 décembre. Le 23 décembre, le général Salah décède d’une crise cardiaque et Saïd Chengriha, commandant des Forces terrestres, lui succède par intérim. Sous la direction d’Abdelaziz Djerad, un universitaire, ancien secrétaire général de la présidence (1993-1995), puis du ministère des affaires étrangères (2001-2003), un nouveau gouvernement est formé.
Si elle semble refléter un compromis entre continuité de l’État (environ un tiers des ministres ont eu des responsabilités dans les gouvernements précédents) et volonté, timide, d’ouverture (avec la nomination de jeunes « technocrates » et la suppression du poste de vice-ministre de la Défense qu’occupait depuis 2013 le général Salah), sa composition reste très critiquée par les manifestants qui n’y voient aucun signe de rupture et continuent de se mobiliser chaque vendredi. En guise de mesure d’apaisement, plus de 70 personnes interpellées et emprisonnées (sur environ 120 selon le Comité national pour la libération des détenus) sont par ailleurs libérées.