Théodore Géricault
Peintre et lithographe français (Rouen 1791-Paris 1824).
Considéré comme le premier des romantiques, Théodore Géricault fut aussi l'un des précurseurs du réalisme. Diverse et expérimentale, son œuvre témoigne du monde qui disparut avec l'Ancien Régime et de celui qui lui succéda, de l'Empire à la Restauration.
1. L'éclatant devancier
Fils de famille, Théodore Géricault suit ses parents à Paris et fait ses études au lycée Louis-le-Grand. Son goût le portant vers la peinture, il entre dès 1808 dans l'atelier de Carle Vernet, où il se lie avec son fils Horace, puis fréquente celui du baron Guérin (1810-1812), qui l'initie à la technique de Louis David. Parallèlement, il plante son chevalet au Louvre et s'emploie à faire des copies de grands maîtres – surtout Rubens et les peintres de la Renaissance italienne. En 1811, il échappe à la conscription et, en 1814, il s'engage au service de Louis XVIII.
Très tôt, Géricault voue une passion au cheval. Entre son Officier de chasseurs à cheval de la Garde impériale chargeant (Louvre), tableau au format monumental qui trouble les visiteurs du Salon de 1812, et son antithèse, le Cuirassier blessé, quittant le feu (Louvre, 1814 [autre version au Brooklyn Museum de New York]), première peinture qualifiée de « romantique », prennent place d'autres portraits de soldats qui annoncent Gustave Courbet (Officier de carabiniers, Rouen) ou qui sacrifient à une inclination pour le morbide (la Charrette de soldats blessés, Fitzwilliam Museum, Cambridge [G-B]).
Géricault fait « son » voyage d'Italie en 1816-1817. À Florence, puis à Rome, il avoue son admiration pour Michel-Ange et pour Raphaël. De cette époque datent des dessins qui traduisent son assimilation personnelle du classicisme, des scènes érotiques sans retenue et les diverses esquisses de la Course des chevaux libres, préparatoires à une grande composition qui ne verra pas le jour.
2. Le praticien de la vie réelle
À son retour en France, Géricault s'enferme dans l'atelier qu'il occupe depuis 1813 pour se consacrer à ce qui demeure son œuvre la plus ambitieuse – et l'une des plus grandes pages de la peinture moderne –, le Radeau de la Méduse (1818-1819, Louvre). Il trouve aussi dans le meurtre du notable Antoine Fualdès (1817) matière à se fixer sur le fait d'actualité. En même temps, il étend son intérêt pour la peinture animalière à d'autres sujets que les chevaux (taureaux, chats, chiens, animaux du Jardin des Plantes, et même bêtes à l'abattoir), tout en se faisant portraitiste d'enfants. Surtout, il est un des premiers en France, avec le baron Gros, à pratiquer la lithographie (le Combat de boxe étant révélateur du vif intérêt de l'artiste pour le sort des Noirs).
En 1820-1821, Géricault séjourne à Londres, où l'on expose avec succès son Radeau de la Méduse. Il y prend conscience de l'objectivité de peintres comme Constable devant la nature. Ses lithographies marqueront d'ailleurs la naissance du paysage moderne. Outre le Derby d'Epsom (1821, Louvre), il exécute de multiples études de chevaux de labour ou de trait. Ses dernières œuvres parisiennes se caractérisent par une économie de lumière (le Four à plâtre, 1822-1823, Louvre). Parmi elles figurent les cinq portraits de malades mentaux (l'Aliéné cleptomane, vers 1822) dans lesquels Géricault fait preuve d'un réalisme scientifique aussi exceptionnel dans sa facture que respectueux des personnes.
Mort à 32 ans des suites d'une chute de cheval, Géricault aura eu une carrière d'une douzaine d'années – au cours de laquelle trois de ses œuvres seulement auront été exposées. Il n'en exercera pas moins une influence déterminante sur Eugène Delacroix et sur la plupart des autres grands peintres du xixe s.
3. La grande geste du cheval
C'est à la veille du Salon de 1812, auquel Théodore Géricault, alors âgé de 21 ans, désirait participer, qu'il découvrit sa vocation de peintre de chevaux. Un jour de fête à Saint-Cloud, il avisa un robuste cheval gris, qui suait et écumait en tirant une carriole. Transfiguré par l'inspiration du peintre, et transposé dans la légende napoléonienne, ce cheval serait celui d'un officier de la Garde impériale ! Le tableau qui en résulta stupéfia Louis David, qui s'interrogea : « D'où cela sort-il ? Je ne reconnais point cette touche. »
Géricault ne fit pas que peindre les fringantes montures des soldats à la guerre. Il exprima aussi la souffrance des chevaux de somme. Lorsqu'il assista à Rome à une course de chevaux barbes, il eut l'idée de ce tableau exécuté lors de son retour à Paris, la Course des chevaux libres, où son génie, plus que jamais, devait réaliser l'alliance du vrai et de l'épique.