les expositions impressionnistes
L’histoire de l’impressionnisme, qui s’établit au long de huit expositions parisiennes de 1874 à 1886, est d’abord celle d’un groupe d’artistes. Un groupe dont la composition varie sans cesse (seul le peintre Camille Pissarro participe à l’ensemble des huit manifestations), et dont les priorités évoluent elles aussi.
1. L'exposition de 1874 (15 avril-15 mai)
Un choix difficile
Quelques semaines seulement s'écoulent entre la création de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc. et l'ouverture de sa première exposition. C'est un délai très court pour trouver de nouveaux adeptes, indispensables au financement de la manifestation. Si Degas est celui qui parvient à rassembler le plus de prosélytes, certains hésitent à associer leur nom à une manifestation révolutionnaire. Manet, le premier, s'abstient, malgré l'insistance de ses amis. Fantin-Latour, Legros et Tissot préfèrent aussi persévérer au Salon.
À l’inverse, des artistes confirmés tels qu'Adolphe Félix Cals ou Eugène Boudin se rallient au groupe, qui compte 29 participants, auxquels vient se joindre, à la dernière minute, Félix Bracquemond. Malgré la suggestion de Degas de surnommer le groupe « la Capucine », aucun titre ne sera choisi pour baptiser cette société d'artistes.
Organisation et premières critiques
L'exposition ouvre enfin ses portes le 15 avril 1874, dans les anciens ateliers du photographe Nadar, succession de grandes pièces réparties sur deux étages, éclairées par de vastes verrières donnant sur le boulevard des Capucines.
Les modalités d'accrochage ont été décidées démocratiquement. Sur une suggestion de Pissarro, l'emplacement des tableaux a été tiré au sort. L'exposition comprend plus de 100 toiles (parmi lesquelles la Maison du pendu de Cézanne, la Loge de Renoir et le Berceau de Berthe Morisot), des dessins, des pastels, des aquarelles, des eaux-fortes, des sculptures, des émaux.
La diversité des techniques et des styles complique singulièrement la tâche du comité d'accrochage, dirigé par Renoir. Un catalogue donne le nom et l'adresse de chaque exposant, ainsi qu'une liste exhaustive des œuvres.
Le choc entre le public et les œuvres est immédiat, bien que limité ; le scandale de l'exposition, tel qu’il apparaît dans la presse, va quant à lui laisser des traces. On se passe le mot pour aller se divertir en contemplant de la peinture de fous comme on irait voir des monstres de foire. Cézanne, qui présente trois tableaux, est le plus violemment attaqué. Reprenant le titre du tableau de Monet, Impression, soleil levant (1872), le critique Louis Leroy amplifie la polémique autour de cette peinture, dont l'essentiel se résume à traduire une impression. On parle d'« Impressionnistes », d'« Impressionnalistes », d'« école de l'impression ». Même les journalistes républicains, a priori favorables à l'initiative du groupe et à son désir d'indépendance à l'égard des structures artistiques officielles (académie, Salon, École des Beaux-Arts), sont surpris par l'étrangeté de ces œuvres.
On ignore le chiffre exact de fréquentation de l'exposition, mais à sa fermeture le bilan des comptes accuse un léger bénéfice. La Société anonyme est dissoute quelques mois plus tard, mais le groupe n'en continue pas moins ses activités et ses projets communs.
2. Deuxième exposition (avril 1876)
Deux ans après la première manifestation, le marchand Paul Durand-Ruel en organise une deuxième. Il loue sa galerie aux artistes pour la somme de trois mille francs, dont la moitié seulement est payée d'avance, le reste devant être récupéré sur les ventes. Celles-ci ne seront pas mauvaises, puisque les artistes seront remboursés de la somme avancée.
Cette année-là, le nombre des exposants s'est réduit à 19. On compte parmi eux de nouveaux venus, parmi lesquels Caillebotte, alors que Cézanne s'est abstenu. Monet présente une vingtaine d'œuvres, dont plusieurs paysages d'Angleterre, Degas 24 toiles – surtout des blanchisseuses et des danseuses –, Renoir 18, tandis que Lepic, avec 36 tableaux, aquarelles et gravures, occupe le plus grand espace.
Premières dissensions ?
Des artistes aussi différents ne peuvent cohabiter sans troubles, et quelques clans commencent à se former. Une société dissidente, l'Union, voit le jour à l'initiative de Pissarro et du peintre Alfred Meyer, auxquels se joint Cézanne. Degas fait bande à part, et c'est peut-être lui qui souffle à l'écrivain et critique Louis Edmond Duranty un texte assez réservé sur la nouvelle peinture.
Aucun mouvement favorable ne se dessine dans l'opinion, le public continue à bouder des tableaux que les journalistes conspuent ouvertement. Seul Sisley tire son épingle du jeu avec ses toiles représentant les inondations à Marly-le-Roi, saluées comme des chefs-d'œuvre par la critique.
3. Troisième exposition (avril 1877)
Une troisième exposition du groupe se tient au printemps 1877, grâce à la générosité de Caillebotte. Ce peintre talentueux est aussi un véritable mécène pour ses camarades, et les tableaux qu'il leur achète, aujourd'hui légués à l'État français, constituent le fleuron des collections impressionnistes de ses musées.
Comme les années précédentes, les artistes qui participent à cette exposition se sont engagés à ne pas présenter d'œuvres au Salon. Les salles de la galerie Durand-Ruel n'étant pas libres, les exposants louent un appartement de la rue Le Peletier. Cézanne est à nouveau admis au sein du groupe, réduit à 18 peintres.
Les « Gares Saint-Lazare » de Monet, les scènes de cafés-concerts de Degas, les paysages de l'Estaque de Cézanne, la Balançoire et le Bal du Moulin de la Galette de Renoir constituent autant de chefs-d'œuvre, que seuls quelques amateurs éclairés sauront apprécier. Parmi eux, le poète Stéphane Mallarmé, qui publie un article de défense de Manet et de la nouvelle peinture, et le collectionneur Victor Choquet, qui, pendant toute la durée de l'exposition, monte la garde devant les tableaux de Cézanne et tente d'expliquer sa peinture aux visiteurs hilares. Émile Zola prend la plume pour faire l’éloge de Monet.
4. Expositions suivantes (10 avril-11 mai 1879 ; 1er-30 avril 1880 ; 2 avril-1er mai 1881 ; mars 1882)
Comme une routine annuelle
De 1879 à 1882, une exposition est organisée chaque année, tandis que l'impressionnisme, avec son cortège de scandales et de débats, commence à s'imposer sur la scène artistique parisienne. Ces manifestations restent attendues comme une distraction assurée. Mais les artistes finiront par se lasser des quolibets du public et de la presse : Monet annonce en 1879 qu'il renonce à exposer, et, sans le dévouement de Caillebotte, qui se charge d'acheminer son envoi, ses vues de Vétheuil et sa rue Montorgueil pavoisée seraient restées à l'atelier.
Une nouvelle recrue, le peintre américain Mary Cassatt, ne fait pas exception aux principes esthétiques hardis du groupe, exposant des compositions violemment colorées dans des cadres rouges et verts.
Accrochage et présentation : les cadres
Les Impressionnistes accordent une importance capitale à la présentation de leurs œuvres. L'une de leurs innovations les plus remarquables consiste à présenter leurs tableaux, pastels et aquarelles dans des cadres blancs ou peints dans une couleur complémentaire à la dominante de leurs compositions. Ce souci d'harmonie s'étend à la couleur des murs des salles d'exposition, qui reprennent la teinte principale de leurs tableaux ou, au contraire, contrastent violemment avec elle. Camille Pissarro n'hésite pas à présenter ses œuvres dans des cadres jaune serin accrochés sur un mur lilas.
Le choix d’un tel environnement coloré, mis au point et calculé en considération des lois du contraste simultané, permet d’augmenter la luminosité apparente des tableaux, et crée un climat favorable à leur contemplation.
Révélation de Paul Gauguin
En 1879, invité à la dernière minute par Pissarro et Degas, Paul Gauguin expose des tableaux dans des cadres blancs. Mais sa présence provoque quelques remous au sein du groupe. L'année suivante, Monet, Renoir, Sisley et Cézanne refusent de prendre part à la cinquième exposition de ceux qu’on appelle à présent les « artistes indépendants ».
En 1881, des critiques remarquent que le groupe est incomplet : craignant que les manifestations collectives ne finissent par lasser le public, Monet suggère bientôt à Durand-Ruel d'organiser des rétrospectives individuelles de chacun des artistes.
1882 : l’équilibre
L'exposition de 1882, limitée à Caillebotte, Gauguin, Guillaumin, Monet, Berthe Morisot, Pissarro, Renoir, Sisley et Vignon, est sans nul doute la plus homogène de la série. Les journalistes, cependant, espèrent prochain le jour où chaque peintre poursuivra son travail individuellement, laissant Monet, suivi d'une petite poignée d'artistes seulement, porter seul le drapeau de l'impressionnisme.
Les peintres les plus raisonnables du mouvement ont tout à gagner à cet éclatement, et notamment Sisley, qui expose pour la dernière fois avec les Impressionnistes en 1882, présentant une série de paysages de la région de Moret-sur-Loing.
Plusieurs années s'écoulent avant l'organisation d'une autre exposition du groupe, qui sera la dernière. Les peintres mettent ce temps à profit pour poursuivre leurs recherches, seuls ou en petits groupes. Un an auparavant, Signac a participé en compagnie d'autres peintres à la fondation de la Société des artistes indépendants. À l'occasion du premier Salon des indépendants, sa rencontre avec Georges Seurat, qui expose un grand tableau intitulé Une baignade, marque les prémices d'un nouveau mouvement pictural, le néo-impressionnisme.
5. Dernière exposition impressionniste (15 mai-15 juin 1886)
Au début de l'année 1886, Berthe Morisot et son mari, Eugène Manet – frère d'Édouard, mort trois ans auparavant –, prennent en main l'organisation d'une ultime exposition impressionniste. L'initiative en revient à Pissarro, qui entend introduire dans le groupe ses nouveaux amis, Seurat et Signac. Leur admission sera une rude affaire, qu'il mène tambour battant contre l'avis d'Eugène Manet et de Renoir. Après bien des discussions, les toiles des nouveaux venus seront accrochées dans la même salle que celles des autres artistes, dont elles sont si différentes.
L’aube d’un éclatant succès
Claude Monet se retire de la manifestation, probablement en raison de la présence de Gauguin. Renoir, Caillebotte et Sisley en feront autant. C'est donc une exposition tronquée, mais néanmoins brillante, qui ouvre ses portes le 15 mai 1886, dans un appartement de la rue Laffitte. Edgar Degas s'occupe de rassembler l'argent nécessaire pour payer le loyer et de regrouper les œuvres.
L'exposition, dans son ensemble, reçoit une critique plutôt élogieuse. On peut s'étonner du silence des journalistes sur le grand tableau de Seurat Un dimanche après-midi à la Grande Jatte, que l'étroitesse de la salle où il est accroché ne permet probablement pas de contempler avec le recul nécessaire. Seul Octave Mirbeau loue sans réserve la sincérité du jeune peintre. D'autres critiques apprécient la délicatesse de ses coloris en demi-teintes, qui confèrent un grand calme à ses œuvres. Les toiles de Paul Signac, accrochées non loin, contrastent par l'intensité de leurs couleurs, qui résonnent comme une fanfare. Les impressionnistes font des œuvres sages en comparaison de la jeune école pointilliste.
6. Repères
Chefs-d'œuvre
Les œuvres mentionnées ci-après ont toutes été présentées dans une au moins des 8 expositions impressionnistes (sauf lorsqu'il en est indiqué autrement il s'agit de peinture).
- Gustave Caillebotte, Le Pont de l’Europe, 1877, Genève, Petit Palais ;
- Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie, 1877, Chicago, the Art Institute ;
- Mary Cassatt, Le thé, 1880, Boston, Museum of Fine Arts ;
- Mary Cassatt, Petite fille dans un fauteuil bleu, 1879, Washington, the National Gallery ;
- Paul Cézanne, La Maison du pendu, 1874, Paris, musée d’Orsay ;
- Paul Cézanne, Tête d’homme, dit aussi Portrait de Victor Chocquet, 1877, New York, collection particulière ;
- Edgar Degas, L’Absinthe, 1877, Paris, musée d’Orsay ;
- Edgar Degas, Danseuses à la barre, 1877, New York, the Metropolitan Museum of Art ;
- Edgar Degas, Petite danseuse de quatorze ans, 1881, sculpture (épreuve en bronze), Paris, musée d’Orsay ;
- Paul Gauguin, Étude de nu, 1881, Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek ;
- Claude Monet, Impression, soleil levant, 1872, Paris, musée Marmottan ;
- Claude Monet, La gare Saint-Lazare, 1877, Paris, musée d’Orsay ;
- Claude Monet, La rue Montorgueil, 1878, Paris, musée d’Orsay ;
- Berthe Morisot, Le Berceau, 1872, Paris, musée d’Orsay ;
- Camille Pissarro, Gelée blanche, 1874, Paris, musée d’Orsay ;
- Camille Pissarro, Les Toits rouges, 1877, Paris, musée d’Orsay ;
- Odilon Redon, Le Secret, dit aussi Le Penseur à la fenêtre, 1886, dessin, Pays-Bas, collection particulière ;
- Pierre Auguste Renoir, Le bal du moulin de la Galette, 1877, Paris, musée d’Orsay ;
- Pierre Auguste Renoir, Le Déjeuner des canotiers, 1882, Washington, the Phillips collection ;
- Georges Seurat, Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte, 1886, Chicago, the Art Institute ;
- Alfred Sisley, Inondation à Port-Marly, 1876, Paris, musée d’Orsay.
Collections ouvertes au public concernant les œuvres
En France :
- Paris, musée d’Orsay ;
- Paris, musée de l’Orangerie ;
- Paris, musée Marmottan ;
- Giverny, musée des Impressionnistes et fondation Claude-Monet ;
- Reims, musée des Beaux-Arts.
En Europe et en Russie :
- Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek ;
- Genève, Petit Palais - Hambourg, Hamburger Kunsthalle ;
- Londres, the National Gallery ;
- Moscou, musée Pouchkine ;
- Munich, Neue Pinakothek ;
- Otterlo, Rijkmuseum Kröller-Muller ;
- Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage ;
- Winterthur, Museum Oskar Reinhart am Stadtgarten.
Aux États-Unis :
- Boston, the Museum of Fine Arts ;
- Chicago, the Art Institute ;
- Dallas, the Dallas Museum of Art ;
- Merion, the Barnes Foundation ;
- New York, the Metropolitan Museum of Art ;
- New York, the Museum of Modern Art ;
- San Francisco, the Museum of Fine Arts ;
- Washington, the National Gallery. ;
- Washington, the Phillips collection.
7. Quelques pages critiques
– « Il y a, nous a-t-on dit, rue Lepeletier, une maison de santé, sorte de succursale de la maison du docteur Blanche. On y reçoit principalement des peintres. Leur folie est douce ; elle consiste à frotter sans cesse et au hasard, d’un pinceau fiévreux trempé dans les couleurs les plus aiguës et les plus incohérentes, une série de toiles blanches »
(Bertall, « L’exposition des impressionnalistes, rue Lepeletier », Paris-Journal, 15 avril 1876)
– « On a trouvé un nom : les Impressionnistes. Et puis on a cherché une idée, celle d’exploiter les produits de ces déshérités du barbouillage et d’en faire une exposition. »
(Bariolette, « Notes parisiennes », Le Sportsman, 7 avril 1877)
– « Le temps est passé où le Salon des impressionnistes provoquait une douce hilarité, d’amères ironies, de bruyantes colères. Après avoir taxé de ridicule la manifestation d’un art libre indépendant, on convient aujourd’hui que ces efforts, ces recherches de vérité sont plus intéressants, plus difficiles, partant autrement méritoires que la constante répétition des formules apprises et de recettes consacrées. »
(Roger Marx, « Les Impressionnistes », Le Voltaire, 17 mai 1886).
Pour en savoir plus, voir les articles impressionnisme, l'impressionnisme à l'étranger.