la comédie en littérature
À la différence de la tragédie, avec laquelle elle fut à l'origine du théâtre moderne au xve siècle, la comédie est un genre dont les frontières sont insaisissables, comme celles du rire qu'elle cherche à provoquer par ses personnages caricaturaux, son intrigue à rebondissements et au dénouement heureux. Résolument allègre et débridée à ses débuts, elle va évoluer, à travers ses sujets pris à la réalité quotidienne, vers des situations de plus en plus dramatiques, voire tragiques.
Le sens du terme « comédie », particulièrement large à l'époque classique, s'est progressivement restreint, surtout à la suite de l'apparition, à la fin du xviiie siècle, du drame, un genre « sérieux » marqué par l'émotion et un ton pathétique. Ainsi, au xixe siècle, l'appellation « comédie » s'applique à des pièces dont le dénominateur commun est le rire, avant de disparaître presque complètement dans le théâtre contemporain, qui répugne à cataloguer les œuvres par genres.
Petite histoire de la comédie
La comédie, de l'Antiquité à la Renaissance
Née, durant l'Antiquité grecque, des processions burlesques (kômos) qui se déroulaient lors de fêtes de Dionysos – où des gens au visage barbouillé se lançaient, et adressaient en direction des badauds, des plaisanteries lestes, des apostrophes violentes, et improvisaient des batailles verbales sous la protection de leurs dieux populaires – la comédie se développe, à Athènes, au cours du ve siècle avant J.-C. D'abord violente et grossière, axée sur la satire des affaires publiques, la comédie attique évolue en trois étapes : la comédie ancienne, avec Cratinos et les neuf premières pièces d'Aristophane, est une satire de la vie politique, morale et philosophique d'Athènes ; la comédie moyenne, représentée par deux œuvres de la dernière partie de la carrière d'Aristophane, l'Assemblée des femmes et Ploutos ; et enfin la comédie nouvelle (la néa) qui, avec Ménandre, évolue vers la comédie de mœurs et de caractères, avec une intrigue, le plus fréquemment autour d'un mariage compromis, et réserve une place importante à l'expression des sentiments.
Cet héritage constitue le fonds du théâtre comique latin (la comoedia palliata, jouée par des acteurs portant le vêtement grec, le pallium), avec Plaute et Térence. La comédie consacrée à la peinture de mœurs romaines (comoedia togata, jouée en toge) n'atteignit jamais le succès de la farce, l'atellane, réduite à un canevas et interprétée par des acteurs masqués (qui connurent la faveur populaire et furent à la source de la commedia dell'arte), supplantée à son tour, dès l'époque de Cicéron, par le mime.
Après l'effondrement de la culture antique, le Moyen Âge, qui ignore le mot « comédie », réinvente de nombreuses formes de théâtre comique. La tradition des jongleurs et le goût du divertissement parodique chez les clercs s'expriment au Moyen Âge dans une grande diversité de pièces de caractère satirique et didactique : les diableries, qui sont incluses dans les mystères religieux ; les farces, qui sont des pièces courtes mettant en scène des types populaires de la vie quotidienne (le paysan, la femme, le curé, le noble, etc.) et une situation simple sur fond de morale traditionnelle ; enfin, les sotties, qui sont axées sur le « sot » (une sorte de clown avant la lettre) et qui usent de toutes les libertés de la satire. Au début du xvie s. apparaissent les premiers modèles de la comédie « régulière », suivis par l'Arétin, Machiavel (la Mandragore) et Trissino. Très vite, la comédie italienne s'en détache, avec Giordano Bruno (le Chandelier) et Ruzzante, qui compose en dialecte padouan des scènes populaires et trouve son style dans l'improvisation de la commedia dell'arte.
L'apogée d'un genre
À la fin du xvie siècle, un théâtre comique national, dégagé des emprises grecques et latines se forme en Espagne, en Angleterre, en Italie. La comédie espagnole (et principalement la comedia) met en œuvre tous les types d'intrigue avec Cervantès, Lope de Vega, Calderón de la Barca, Moreto y Cabaña, Fernando de Rojas, et inaugure, avec Pedro de Alarcón, la « comédie de caractère », qui inspira directement Pierre Corneille (le Menteur). En Angleterre, la comédie élisabéthaine, truculente et nourrie d'observations, est dominée par William Shakespeare, mais elle vaut aussi des succès à Ben Jonson, Francis Beaumont et John Fletcher, Thomas Middleton, Thomas Dekker.
En Italie, la commedia dell'arte supplante au xviie siècle la comédie régulière ; son influence sera considérable sur l'évolution des techniques théâtrales.
En France, la période d'éclat de la comédie se situe dans la seconde moitié du xviie siècle. Auparavant avec Jean de Rotrou, Paul Carron, Thomas Corneille, Philippe Quinault, s'épanouit la comédie d'intrigue, qui combinée avec le succès inépuisable de l'ancienne farce, l'imitation du genre espagnol, dans le style fantastique et burlesque.
Pierre Corneille apporte plus de vérité à la comédie française et, Molière, qui impose la comédie de mœurs et de caractère : celle-ci servit de modèle, même aux auteurs anglais, qui abandonnent la truculence et la bouffonnerie du théâtre élisabéthain pour les comédies de William Congreve et exerça également une influence sur tout le théâtre comique européen pendant une partie du xviiie siècle (Moratín, en Espagne ; Carlo Goldoni, en Italie).
Pourtant, parallèlement, des tendances nouvelles se font jour, qui conduisent à la disparition du franc comique au profit de la satire (Alain René Lesage en France, Sheridan en Angleterre) ou de l'analyse des sentiments (Marivaux). Le siècle des Lumières, qui joue volontiers de l'émotion et du pathétique, crée même, avec Nivelle de La Chaussée, la comédie « larmoyante », ou la comédie sentimentale et romanesque avec Gotthold Ephraïm Lessing, tandis que Denis Diderot salue dans la comédie « sérieuse », incarnée par Michel Jean Sedaine, un pendant au drame bourgeois. À la fin du siècle, Beaumarchais enracine la comédie dans l'actualité militante (le Barbier de Séville, le Mariage de Figaro). Les romantiques, sauf Musset, ne cultivent guère la comédie. Celle-ci renaît pourtant au cours du xixe siècle, mais en raison de la confusion des genres, elle est souvent difficile à distinguer du drame social, sauf lorsqu'elle sacrifie aux conventions du vaudeville et du théâtre de boulevard. Au xxe siècle, la comédie participe du regard que le théâtre porte sur lui-même, incapable de décider de quel côté, de la scène ou de la réalité, se trouve l'illusion et l’hallucination (Luigi Pirandello) ou le dérisoire et l’absurde (Eugène Ionesco, Samuel Beckett).
Les archétypes de la comédie « comique »
Un personnage simplifié (le « type ») et une situation confuse (l'« embrouille ») sont les deux éléments, relativement distincts, sur lesquels repose la comédie « comique ».
Le « type »
Réduit à quelques comportements fondamentaux, propres à sa catégorie sociale et révélateurs de ses obsessions, le « type » est condamné à répéter les mêmes actes et les mêmes paroles. Il est hors du temps et peut réapparaître d'une pièce à l'autre, toujours disponible pour de nouvelles aventures. Le plus souvent porté par un acteur qui lui prête son image et son dynamisme scénique, il appartient à la tradition populaire. Si, dans la commedia dell'arte ou dans le théâtre de foire, Pantalon, le vieux marchand vénitien, riche et paillard, ou Arlequin, le paysan venu travailler à la ville, naïf et balourd, étaient volontiers masqués, la grimace, accompagnée d'une gestuelle précise et travaillée, a le plus souvent remplacé le masque. La réaction forte que le « type » provoque chez le spectateur se traduit par le rire : le public rit, en général par sympathie avec le personnage (victime de son entourage), parfois par antipathie (lorsque celui-ci abuse de sa force), et souvent pour des raisons contradictoires (le malheureux qui joue à être méchant méritant à la fois compassion et dédain). À travers le rire, suscité par le ridicule du personnage et ses démêlés avec le pouvoir social ou familial, la comédie apparaît comme une forme de justice populaire qui prend le parti des faibles.
Les pièces conçues autour du « type » sont souvent des monologues ou des sketches courts ou encore de brefs dialogues sans intrigue. La farce – dont le modèle remonte au Moyen Âge – met en scène un personnage tyrannique et sa victime pris dans un conflit inextricable, et se clôt par un retournement inattendu de la situation. Ainsi, dans une célèbre farce intitulée le Cuvier, un pauvre teinturier se voit imposer par sa femme toutes sortes de tâches ménagères, qu'elle lui fait inscrire sur un « rolet » afin qu'il n'oublie rien : la soumission du « pauvre type » et la dureté de la « méchante femme » sont accueillies par le rire du public. Mais voilà que la femme tombe dans la cuve, en grand danger d'être noyée, et qu'elle commande au mari de la tirer de là. « Cela n'est point dans mon rolet », déclare alors son époux à la grande satisfaction des spectateurs hilares. La femme supplie, promet de se corriger, et l'homme, qui la tire enfin d'affaire, triomphe. Justice est faite, du moins pour un moment, et la fin tragique est évitée.
La simplicité est l'apanage de beaucoup de comédies : elles présentent des conflits de pouvoir à travers des répliques, des gestes et des comportements singulièrement exagérés, sans commune mesure avec la réalité psychologique, d'où le rire qui en saisit à la fois la vérité profonde et la mise en forme excessive. Le dénouement, rétablissant la justice sans se préoccuper de vraisemblance, permet d'esquiver la dureté du retour au réel.
L'« embrouille » ou l’« intrigue »
Une situation compliquée dont un personnage essaie de débrouiller les fils, l'embrouille (de l'italien imbroglio), est au fondement de la « comédie d'intrigue ». Selon la loi du genre, celle-ci se termine par un dénouement heureux : soit parce que le héros arrive à ses fins (c'est le cas du « valet de comédie », comme Scapin ou Figaro), soit parce qu'un événement inattendu met un terme aux catastrophes provoquées par les initiatives du personnage clé. À la différence de la farce, de la situation statique qui la caractérise, la comédie d'intrigue repose sur l'accélération d'un temps et d'une action fertile en rebondissements. Utilisant souvent les mêmes procédés – la ruse, le mensonge, le quiproquo, le déguisement, la circulation des objets –, la comédie d'intrigue est dominée par les effets de rythme : ce sont les accélérations et les ruptures de rythme qui déterminent les réactions du public, notamment le rire, provoqué par la surprise, le plaisir devant l'inattendu. Sans être forcément très réaliste, cet inattendu peut rester dans les limites du vraisemblable, comme dans le Barbier de Séville de Beaumarchais. Avant l'apaisement final (le mariage des amoureux), une succession vertigineuse d'initiatives, d'échecs et de rétablissements, nourrie d'un sens de la repartie sans défaillance, accroît la montée de la tension.
Dans le vaudeville, l'enchaînement des situations saugrenues et fantaisistes peut atteindre l'irréalisme le plus débridé. Ainsi, dans la pièce de Eugène Labiche Un chapeau de paille d'Italie, la poursuite infernale tourne au cauchemar ; pourtant, entraîné dans les situations les plus extravagantes, chaque personnage réagit avec un esprit de sérieux imperturbable. Le rire naît ici de la juxtaposition de deux éléments : l'absurdité des événements, avec leurs enchaînements imprévus, et l'inadaptation des personnages. La plupart des comédies du répertoire classique utilisent conjointement les deux principes du « type comique » et de l'« intrigue », avec un équilibre différent d'une œuvre à l’autre. Ce répertoire peut varier selon les époques : le public contemporain, marqué par l'esthétique du réalisme, privilégie des œuvres nuancées, dans lesquelles le type est moins marqué que dans la farce ou le vaudeville, et l'intrigue plus proche du quotidien. Au moment où la production contemporaine se tourne vers un théâtre sérieux, la comédie comique survit surtout dans les sketches d'auteurs-acteurs : Raymond Devos, Guy Bedos, Coluche.
La comédie « sérieuse »
Genre intermédiaire entre la comédie comique et le drame, la comédie devient « sérieuse » lorsque le souci de la nuance se manifeste à la fois dans le choix des personnages (des individus ni tout à fait bons ni tout à fait méchants et intéressants en eux-mêmes) et dans la description de leurs relations interpersonnelles (d'une plus grande complexité psychologique) ; en même temps, les événements relatés se conforment davantage aux critères de la vraisemblance. Le jeu d'acteur comme l'écriture s'inscrivent alors dans le style du réalisme. Le rire n'est plus omniprésent dans la comédie sérieuse, mais il n'en disparaît pas pour autant. Plus individuel, plus fragmenté et plus instable (on rit et on pleure du même personnage), il change, en réalité, de nature : au lieu d'être spontané et d'exprimer un jugement social, comme dans la farce, il se transforme souvent en sourire, devient ironique, grinçant ou amer, ne réagissant plus simplement à des situations comiques mais à une forme d'humour plus subtile.
Lorsque les meneurs d'intrigue, qui n'appartiennent pas (ou pas tout à fait) au parti des « bons », sortent victorieux au dénouement, le rire se fige, et le ton vire au grinçant, comme chez Machiavel (la Mandragore) ou, bien plus tard, chez Henry Becque (la Parisienne), ou encore dans la « comédie rosse » de l'époque 1900. De même, le rire cesse brusquement pour céder la place à une émotion, gaie ou triste, lorsque l'intrigue, mettant en difficulté un héros sensiblement plus crédible et plus attachant que le « type », prend un tournant dramatique : ainsi en va-t-il de la « comédie » espagnole du Siècle d'or (Lope de Vega), des tragi-comédies de Corneille, du Misanthrope et du Dom Juan de Molière, ou du théâtre romantique.
L'inspiration purement poétique de certaines comédies « sérieuses » introduit le fantastique. Un monde décalé de la réalité surgit, qui se distingue soit par son écriture délibérément lyrique, soit par les êtres extraordinaires (voire féeriques) qu'il met en scène. Le répertoire classique en offre de nombreux exemples : le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, Fantasio de Musset, Léonce et Léna de Georg Büchner, La guerre de Troie n'aura pas lieu de Giraudoux…
L'équilibre instable entre ces deux sortes de ressorts – comique et dramatique – représente un autre cas particulier de la comédie sérieuse. Ainsi dans les pièces de Tchekhov la peinture d'une société en décomposition, avec sa galerie de personnages pitoyables, oscille-t-elle constamment entre le grotesque et le tragique. Le recours aux scènes comiques dans le cadre « sérieux » d'une analyse sociale a été largement utilisé par le théâtre didactique. De Bertolt Brecht à Armand Gatti, les auteurs y renouent avec les principes traditionnels de la simplification pour créer des « types » nouveaux, appelés à illustrer la critique de la société moderne.
Par ailleurs, le rire devient ambivalent face à la représentation cruelle de la condition humaine dans le théâtre de l'absurde de Samuel Beckett ou d'Eugène Ionesco. Les préoccupations dérisoires des « figures » étranges, qui évoluent dans un monde dont le sens leur échappe, produisent inéluctablement un effet à la fois comique et foncièrement tragique. Cette ambiguïté est caractéristique des mutations de l'écriture théâtrale contemporaine, où la comédie (y compris la comédie « sérieuse »), en tant que genre, n'a plus une place clairement distincte. Ainsi, à l'exception du théâtre de boulevard, qui reproduit sans grande invention la forme traditionnelle de la comédie d'intrigue, la dramatique actuelle est dominée par l'inclassable notion de « pièce ».