Directoire
Régime qui gouverna la France depuis la fin de la Convention nationale (26 octobre 1795) [4 brumaire an IV] jusqu'au 9 novembre 1799 (18 brumaire an VIII).
1. Les institutions
Ce régime est organisé par la Constitution de l'an III, votée par la Convention le 22 août 1795. Ses tenants désiraient conserver le nouvel état social né des principes de 1789, empêcher toute concentration du pouvoir et donc toute possibilité de dictature personnelle comparable à celle de Robespierre, défendre les places acquises, les biens – souvent considérables – et les vies des révolutionnaires nantis.
Le pouvoir législatif est confié à deux Conseils, les Cinq-Cents et les Anciens, élus au suffrage censitaire. De fait, les droits politiques sont réservés aux possédants. Tout électeur au premier degré doit être contribuable (le sixième environ des hommes en âge de voter), ce qui élimine les plus pauvres. Les électeurs au second degré, qui choisissent les députés, les administrateurs locaux, les juges, doivent avoir plus de vingt-cinq ans et justifier d'un revenu au moins égal à deux cents journées de travail. Ce régime censitaire, qui réduit le nombre d'électeurs au second degré à trente mille, établit donc le privilège de la fortune.
La Constitution organise une rigoureuse séparation des pouvoirs et divise chacun de ces pouvoirs entre plusieurs corps ou individus. Les députés, élus pour trois ans, sont renouvelés par tiers chaque année, ce qui vise à empêcher la formation de partis. Une fois élus, les députés forment alors, par tirage au sort, le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens (dont les membres devaient avoir 40 ans au moins). Les Cinq-Cents ont seuls l'initiative des lois, que les Anciens ne peuvent qu'approuver sans amendement ou rejeter.
Le pouvoir exécutif est confié à un Directoire de cinq membres (les Directeurs) élus par les Anciens sur une liste de dix candidats présentée par les Cinq-Cents. Renouvelable par cinquième, tous les ans, ce Directoire ne peut dissoudre les Conseils. Désigné par tirage au sort, le directeur sorti de charge ne peut être réélu avant cinq ans; ainsi, le Directoire doit rester un collège sans aucune prépondérance personnelle. Les directeurs délibèrent à la majorité, nomment et révoquent les ministres, disposent de la force armée.
Dans chaque département, un commissaire représente le pouvoir central et surveille les autorités locales, dont l'autonomie demeurait fort étendue.
Le mécanisme constitutionnel ne prévoyait pas les conflits entre les pouvoirs. Ni les Conseils ni les directeurs ne pouvaient agir les uns sur les autres. Il leur fallait s'entendre ou régler par des coups d'État leurs oppositions.
2. Le premier Directoire (octobre 1795-septembre 1797)
Les cinq Directeurs (Barras, Rewbell, Carnot, Letourneur et La Révellière-Lépeaux), comme la majorité des membres des Conseils, étaient des anciens conventionnels (une loi d’août 1795 stipulait que les deux tiers des nouveaux députés seraient obligatoirement pris parmi les anciens Conventionnels).
Barras, directeur de 1795 à 1799, a symbolisé le régime tout entier, d'autant qu'il ne tira jamais la boule noire qui l'aurait exclu du Directoire. Ancien noble, Conventionnel et régicide, son avidité était notoire. Du reste, la corruption était générale dans les milieux politiques ; il s'y mêlait le goût des plaisirs : c'était le temps des Merveilleuses et des Incroyables avec leurs excentricités vestimentaires et leur luxe de parvenus. La classe dirigeante parisienne était faite de politiciens discrédités, de financiers trop vite enrichis, et d'aventuriers. À la crise morale qui touchait l'élite nouvelle sortie de la Révolution s'ajoutait la misère du peuple, qui, littéralement, mourait de faim à Paris et dans les principales villes. Il n'y avait plus ni industrie ni commerce ; l'inflation des assignats (papier-monnaie) ruinait les rentiers et l'État, qui ne payait ni ses fonctionnaires ni ses soldats. Le désordre était latent dans tous les départements, où sévissait le brigandage.
L'installation du Directoire fut rendue d'autant plus difficile que les cinq directeurs avaient des conceptions politiques et des tempéraments fort divers, ce qui allait jusqu'à l'inimitié. Cependant, ils s'attribuèrent dès le départ des domaines d'intervention en fonction de leurs compétences et de leur région d'origine, et s'entendirent, au terme de tractations parfois délicates, pour nommer les ministres. Tout en tentant de juguler la crise financière en créant un nouveau papier-monnaie, le mandat territorial (mars 1796), le Directoire doit faire face à l'opposition des jacobins et à celle des royalistes. Les premiers, qui conspirent avec Babeuf pour renverser le régime, sont mis en échec (les conspirateurs sont arrêtés le 10 mai 1796). Contre les seconds, qui triomphent aux élections de 1797 et choisissent un des leurs comme Directeur (Barthélemy), les « triumvirs » (Barras, Rewbell, La Révellière-Lépeaux) font appel à l'armée, qui écarte la restauration monarchique par le coup d'État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) : 177 députés royalistes sont exclus, certains sont déportés en Guyane ; Carnot (qui est jugé trop modéré et doit s’exiler) et Barthélemy sont remplacés par F. de Neufchâteau et Merlin de Douai.
À ces difficultés intérieures s'opposent, à l'extérieur, les succès de la politique de Bonaparte (indépendante de celle du Directoire), dont la brillante campagne d'Italie (victoires d'Arcole et de Rivoli, 1796-1797) aboutit aux préliminaires de Leoben (avril 1797) suivis du traité de Campoformio (octobre 1797) et à la création d'États alliés, ou « républiques sœurs » (République Cisalpine et République Ligurienne).
3. Le second Directoire (septembre 1797-novembre 1799)
Durant cette période, la lutte contre les royalistes et les jacobins se poursuit. En 1798, tandis que 160 émigrés sont exécutés et que 263 prêtres réfractaires sont déportés, les Directeurs, à nouveau en minorité dans les Conseils après les élections, mettent à profit une loi votée le 12 pluviôse (31 janvier) pour invalider 106 nouveaux élus jacobins et pour les remplacer par leurs concurrents, battus mais partisans du Directoire. C’est ce que l'on appelle avec quelque exagération le coup d'État du 22 floréal an VI (11 mai 1798). La manœuvre a consisté à admettre que des députés élus par des assemblées dissidentes d'électeurs – des « scissions » ont en effet été organisées par le gouvernement – peuvent être validés en lieu et place de députés élus par des assemblées majoritaires.
À la faveur d'une période de stabilité, le Directoire entreprend une œuvre réformatrice qui prépare la voie à celle de Napoléon : il réalise la banqueroute des deux tiers de la dette et la consolidation du tiers restant, organise l'administration des contributions, stimule l'industrie, multiplie les écoles centrales et instaure la conscription (« loi Jourdan », 5 septembre 1798).
À l'extérieur, il poursuit une politique d'expansion : de nouvelles républiques sœurs sont créées (Républiques romaine et helvétique, février-avril 1798) et Bonaparte entreprend sa campagne d'Égypte (mai). Mais cette politique expansionniste provoque la formation de la deuxième coalition européenne contre la France (décembre 1798), qui est encerclée à l'été de 1799. Les défaites extérieures (à Stockach, Cassano et Novi) suscitent inquiétude et mécontentement dont, par le coup d'État du 30 prairial an VII (18 juin 1799), profitent les jacobins pour renverser Merlin de Douai et La Révellière-Lépeaux (remplacés par Ducos et Moulin), et faire voter des mesures « terroristes » (levée en masse, loi des otages contre les nobles, etc.). Pour éliminer les jacobins, réviser la Constitution et créer un pouvoir exécutif fort, le Directeur Sieyès, soutenu par Barras et Ducos, fait appel à Bonaparte, qui, par le coup d'État des 18 et 19 brumaire an VIII (9-10 novembre 1799), renverse le Directoire et établit le Consulat.
Pour en savoir plus, voir l'article Napoléon Ier.