Jules César
en latin Caius Julius Caesar
Homme d'État romain (Rome 100 ou 101-Rome 44 avant J.-C.).
1. Le contexte : Rome au ier siècle avant J.-C.
Durant le ier siècle avant J.-C., Rome est entraînée dans de nouvelles conquêtes par des généraux ambitieux : Marius, après lui, Sulla reconquiert la Grèce et l'Asie Mineure (88-85 avant J.-C.), Pompée qui constitue la province de Syrie et occupe la Judée. Les conséquences de ces conquêtes, sur les plans économique et social, ne sont pas négligeables.
1.1. Une économie bouleversée
Ces conquêtes ont provoqué une véritable révolution économique, enrichissant les uns, appauvrissant les autres. Le butin, les indemnités de guerre, les tributs payés par les provinces enrichissent l'État, mais aussi des particuliers. Les membres de la classe sénatoriale accaparent les terres que l'État s'est réservées lors des conquêtes (l'ager publicus, domaine public), les chevaliers s'occupent de l'exploitation des biens publics (d'où leur nom de « publicains ») ou se livrent à des activités bancaires et commerciales. Ces gens riches utilisent de plus en plus d'esclaves, dont la condition malheureuse entraîne des révoltes (Spartacus, 73-71 avant J.-C.).
1.2. La révolte des territoires soumis
Sur le plan politique, les conquêtes posent des problèmes que le gouvernement de la république n'a pas pu résoudre. Les territoires soumis, transformés en provinces, ont été exploités par leurs gouverneurs bien plus qu'administrés. Les provinciaux sont mécontents. Les Italiens souhaitent l'égalité avec les citoyens romains. Les chevaliers veulent accéder aux honneurs comme les sénateurs. Les vieilles institutions, faites pour l'administration d'une ville, ne sont pas à la mesure d'un vaste empire. Des crises éclatent et des hommes tentent d'imposer leurs solutions. Souvent, ils s'appuient sur une armée solide.
1.3. Sulla
Gouvernant par la terreur les proscriptions, Sulla règle en 90-89 la question italienne en ne se contentant pas de briser par la force la révolte des alliés italiens (guerre sociale, 91-89), mais en supprimant la cause principale de leur révolte par l'octroi de la citoyenneté romaine à tous les Italiens (lex Julia de civitate, 90 avant J.-C. Sulla veut également rétablir le sénat dans ses anciens droits ; toutefois, son œuvre de restauration sénatoriale ne lui survivra pas.
2. Origines et ascension politique de Jules César
Caius Iulius Caesar appartenait à la famille patricienne (patriciat) des Iulii, qui, par homonymie, prétendait remonter à Iule, le fils du légendaire héros Énée, et, par ces intermédiaires, à la mère de ce dernier, à Vénus elle-même.
Il était en rapport avec le parti démocrate par sa tante paternelle, qui avait épousé le général Marius, et par sa femme Cornelia, fille de Cinna.
En 82 avant J.-C., le chef du parti aristocratique, Sulla, instaure sa dictature. Jules César, sommé de répudier Cornelia, refuse et, poursuivi par la haine de Sulla, doit se cacher puis s'éloigner de Rome. Il perd sa préture (charge de magistrat), la dot de Cornelia et la plus grande partie de ses héritages. Contraint de s'exiler, il prend part à des opérations militaires en Asie mineure, se distingue au siège de Mytilène en Grèce, puis en Cilicie (sud-est de l'actuelle Turquie), dans la lutte contre les pirates.
À la mort de Sulla (78 avant J.-C.), César réapparaît à Rome, où il amorce sa carrière politique. Il a 22 ans.
2.1. Du pontife au sénateur
César commence par accuser publiquement des gouverneurs partisans de Sulla. C'est l'occasion de faire connaître la qualité de son éloquence et de se mesurer aux plus illustres avocats. Il part ensuite pour Rhodes afin de perfectionner son talent auprès du célèbre rhéteur Molon et aussi dans le dessein de fuir temporairement certaines inimitiés qu'il a suscitées à Rome. En cours de route, il est pris par des pirates, à qui il verse une plus forte rançon que celle qu'ils demandaient, mais sur lesquels il se venge peu après.
L'ambition incarnée
En 73 avant J.-C., il rentre à Rome, où, en son absence, on l'a nommé pontife (membre le plus important du collège sacerdotal). Il entreprend alors résolument de gravir la carrière des honneurs (cursus honorum), ce qu'il exécute à la manière d'une opération commerciale : très dépensier et endetté, il est en effet poussé par la nécessité de disposer des capitaux qui permettent de flatter le corps électoral ; il s'attache à l'entourage de Licinius Crassus, réputé l'homme le plus riche de Rome.
En 68 avant J.-C., il est nommé questeur (magistrat surtout chargé de fonctions financières) et exerce ses fonctions en Espagne Ultérieure (Sud-Ouest de l'Espagne). Si l'on en croit les anecdotes, il manifeste déjà, en paroles, sa grande ambition. Traversant une localité perdue, il avoue qu'il préfère être le premier dans un village que le second à Rome. Au pied d'une statue d'Alexandre, il gémit de n'avoir encore rien fait, alors qu'à son âge Alexandre avait conquis le monde.
Sénateur en 67 avant J.-C., c'est en tant que défenseur du parti populaire que César a l'occasion de soutenir Pompée, issu à l'origine de l'ordre équestre des chevaliers. Édile (magistrat chargé de l'administration municipale) en 65 avant J.-C., il fait remettre en place sur le Capitole la statue de Marius et surtout assure sa popularité en donnant de grands jeux et en travaillant à la décoration du Forum.
Au cœur des intrigues du pouvoir
Au même moment, César trempe dans un complot qui doit porter Crassus à la dictature et qui échoue. Il semble avoir pris la précaution de ne point trop se compromettre. De même, lors de la conjuration de Catilina, il est au nombre des sympathisants, prêt, si le coup réussit, à en profiter. Il vient d'être élu grand pontife (chef de la religion romaine), en 63 avant J.-C., quand on juge les complices de Catilina. Son autorité lui permet d'obtenir la clémence de leurs juges. Il se sent toutefois mal à l'aise. Préteur (magistrat rendant la justice) en 62 avant J.-C., il s'en prend à ceux qui l'ont compromis.
À ce moment, César répudie sa femme, Pompeia (il était veuf de Cornelia), qui le trompe avec le célèbre démagogue et agitateur Publius Appius, futur Clodius. Il réussit en même temps à éviter de compromettre celui-ci en prétendant qu'il divorce parce que « la femme de César ne doit pas même être soupçonnée », l'un de ses mots fameux.
2.2. Jules César consul
Propréteur (préteur délégué en province) en Espagne Ultérieure (61 avant J.-C.), César accomplit quelques opérations militaires sur les côtes et dans la montagne, de manière à revenir très vite à Rome mais riche de butin et pourvu du prestige du général victorieux. Pompée était revenu d'Orient en général vainqueur, dix-huit mois plus tôt, sans réussir à exploiter sa gloire.
César, au contraire, se met rapidement d'accord avec les deux rivaux du moment, Pompée et Crassus, pour former ce que l'on a appelé le premier triumvirat, qui n'est qu'une association d'ambitieux. Fort de cet appui, il se fait élire consul quelques semaines après son retour d'Espagne (août 60 avant J.-C.).
Un législateur actif
César est très actif. Sans illusions sur l'attitude du sénat et du tribunat de la plèbe, il opère en force et viole les règles qui le gênent.
Si certaines des lois qu'il fait voter vont dans le sens de son intérêt personnel, d'autres sont d'une réelle utilité pour le peuple romain. Parmi celles-ci, une importante loi sur la concussion et une autre sur l'administration des provinces vont lui assurer la sympathie des peuples soumis. Il accorde aux publicains (chargés de percevoir les impôts) une remise sur les sommes dues au titre des impôts qui leur sont affermés (donnés à bail). Il demande et obtient la ratification des actes de Pompée en Orient, ratification que Pompée lui-même s'était vu refuser à son retour. Une loi agraire distribue des terres d'Italie aux vétérans de Pompée et à la plèbe (les citoyens les plus pauvres) de Rome. Une autre étend ces dispositions à la Campanie.
Les comptes rendus des séances du sénat seront désormais affichés. Enfin, et c'est là l'une des premières manifestations d'un intérêt particulier de César pour l'Égypte, il fait conférer au roi Ptolémée XIII Aulète le titre d'ami et d'allié du peuple romain, ce qui vaut à César une « gratification » financière qui le débarrasse de ses dettes.
Préparer l'avenir
Autre bénéfice de cette charge de consul : César s'est procuré de nombreux partisans. Le gouvernement provincial qu'il devait obtenir à l'expiration de son mandat pouvait également étendre sa clientèle politique par l'enrichissement de la soldatesque et accroître son prestige militaire à la faveur d'une guerre de conquête.
Le sénat l'avait vu venir de loin et avait décidé que les provinces qui lui seraient confiées seraient des régions pauvres d'Italie. Alors, César s'entend avec un tribun de la plèbe, P. Vatinius, qui fait casser le décret sénatorial et lui fait attribuer pour cinq ans la Gaule Cisalpine et l'Illyrie, le sénat y ajoutant de lui-même la Narbonnaise.
À Rome, pas question que l'on intrigue derrière son dos : Clodius est élu tribun de la plèbe, Cicéron, son adversaire farouche depuis l'affaire Catilina, part pour l'exil, et les consuls élus pour 58 avant J.-C. sont ses amis. César peut partir.
3. La difficile conquête des Gaules (58-51 avant J.-C.)
La conquête des Gaules représente le premier grand épisode de la vie de César. C'est elle qui fait du politicien heureux un personnage de l'histoire.
Les Gaulois avaient la réputation d'ennemis redoutables, depuis qu'à l'époque primitive ils étaient venus déranger les Romains chez eux. Leur pays paraissait riche et peuplé, et, au-delà, leurs routes menaient à l'étain britannique. César avait voulu cette guerre. Il ne chercha, du moins au début, qu'à soumettre les chefs et à constituter des protectorats. Mais il lui fallait nécessairement guerroyer pour se procurer du butin, donc de l'argent. De là des campagnes successives, qui vont se prolonger d'autant plus longtemps que la pacification n'est assurée qu'après des sursauts de révolte. De là aussi une armée qui s'accroît – en même temps que l'autorité de son chef.
3.1. La guerre racontée par César
Il est impossible de reconstituer les allées et venues de César à travers les Gaules. La localisation des oppidums (places fortes) qui furent assiégés, bien qu'à peu près certaine dans l'ensemble, laisse la possibilité de controverses. De même, les causes et les faits eux-mêmes n'apparaissent pas avec la plus grande évidence. D'où cela provient-il ? De César lui-même, qui, par ses Commentaires sur la guerre des Gaules, est notre source presque unique.
Or, il s'agit là d'une œuvre tendancieuse. Ces Commentaires, faits à partir de rapports réguliers au sénat, remaniés par la suite, sont une œuvre de propagande, où les faits sont intentionnellement obscurcis, pour ne pas tout révéler aux autres généraux de son art militaire, ou déformés de diverses manières, pour rehausser le prestige de César lui-même, minimiser le rôle de ses légats (délégués chargés d'une mission diplomatique, administrative ou militaire), enfler l'importance des adversaires (tel Vercingétorix) et rendre la victoire plus glorieuse. Il faut donc lire entre les lignes.
En dehors des opérations militaires, il y eut des négociations, que César nous raconte à sa façon et qui demeurent entourées de mystère. On sait par exemple que les druides jouaient un grand rôle politique : César n'y fait guère allusion. La guerre des Gaules dresse cependant un tableau complet des mœurs des Gaulois et de leurs institutions tant religieuses que politiques.
3.2. Premières expéditions
Les opérations commencent en 58 avant J.-C., quand les Helvètes veulent émigrer vers la Gaule. César les arrête, comme des envahisseurs, et se fait passer pour le protecteur ou au moins l'allié des Éduens, peuple maître de la Gaule centrale. Il barre ensuite la route à Arioviste, envahisseur qu'il qualifie de Germain.
S'étant assuré vers le Rhin comme vers le Centre, César s'avance vers le nord-ouest de la Gaule, battant apparemment sans difficulté les peuples belges (57 avant J.-C.). Entre-temps, son lieutenant Galba attaque, sans succès, les montagnards des cols alpestres, qui rançonnent les voyageurs et, rendant le passage périlleux, obligent le plus souvent à passer par Marseille, dont les péages sont coûteux. En 56 avant J.-C., César, confirmant ainsi son intérêt pour la route vers l'Océan, s'en prend aux populations côtières, en Normandie et en Aquitaine.
En 55 avant J.-C., des Celtes d'Outre-Rhin, que César disait Germains, ont franchi le fleuve. Ils sont massacrés. Puis César fait lui-même une incursion rapide au-delà du Rhin, opération d'intimidation et de prestige.
Il en va de même de ses tentatives en Bretagne (l'actuelle Grande-Bretagne). Un premier débarquement outre-Manche échoue, faute d'expérience technique. Un autre, en 54 avant J.-C., bien préparé, permet d'imposer un tribut – d'ailleurs tout théorique – à un roi de l'île.
3.3. La Gaule en rébellion
À la fin de 54 avant J.-C., la Gaule entre en rébellion. Elle n'est pas occupée en profondeur : les Romains ne tiennent que les points et les voies stratégiques. Chaque camp légionnaire est attaqué par le peuple voisin. La retraite de César vers l'Italie n'est même plus possible. En 53 avant J.-C., celui-ci est parvenu à se dégager et à « tranquilliser » la Gaule, dont il a dû abandonner le Nord-Ouest. Mais la tranquillité n'est qu'apparente.
César face à Vercingétorix
En 52 avant J.-C., la révolte part des peuples du Centre (Carnutes, Bituriges) ; César doit mettre la Narbonnaise en état de défense. Le chef arverne Vercingétorix a réuni une armée assez forte (400 000 hommes) qui, à distance prudente, nargue les 50 000 soldats romains. Il évite le combat, mais dévaste la campagne pour détruire les vivres. La prise d'Avaricum (Bourges) par César assure à celui-ci une plus grande facilité d'évolution.
Cependant César échoue devant Vercingétorix à Gergovie : échec moindre qu'il ne prétend, car il veut faire prendre son adversaire pour le chef de la Gaule entière, ce qui est faux. À la suite d'un engagement malheureux, les Gaulois s'enferment dans l'oppidum d'Alésia, d'où César ne les laisse plus s'échapper. César présente la capitulation d'Alésia comme un succès définitif. La guerre n'est pourtant pas finie. En 51 avant J.-C., il faut réduire les résistances isolées. Les Cadurques se défendent le plus longtemps et ne rendent leur oppidum d'Uxellodunum qu'après un siège difficile.
Un lourd bilan
Les Gaulois se sont montrés beaucoup plus organisés que César ne l'a admis. De là une guerre longue, plus dure également qu'il n'a voulu en convenir. Elle aurait fait un million de morts et un million d'esclaves, selon l'écrivain grec Plutarque. En huit ans, César a dû livrer 30 batailles, soutenir 5 sièges et enlever 800 oppidums. Mais il a obtenu le résultat escompté : il a trouvé ce qu'il cherchait, l'argent et le prestige, la fidélité de ses compagnons d'armes, et il a ouvert un nouveau champ d'opérations aux trafiquants italiens. Le conquérant laissera cependant aux peuples soumis leur nom, leurs frontières, leurs lois et leurs croyances.
4. L'entre-deux-guerres et le dilemme du Rubicon
Pendant l'absence de César, à Rome, les politiciens ont poursuivi leurs intrigues. Le tribun Clodius entraînait le peuple à sa suite et l'excitait contre Pompée. Celui-ci, ne pouvant s'appuyer pleinement sur le sénat, où d'intransigeants républicains lui demeuraient hostiles, avait, en 55 avant J.-C., renouvelé l'accord de triumvirat avec Crassus et César pour cinq ans. Mais Crassus devait mourir en 53 avant J.-C. Les républicains ont à présent beau jeu d'opposer César et Pompée.
4.1. Le sénat et Pompée contre César
Le sénat nomme Pompée unique consul (52 avant J.-C.), avec l'objectif d'abattre César. Tout se passe en bordure de la légalité. De part et d'autre, on s'efforce d'en respecter les formes, mais, inévitablement, on les viole. César pose sa candidature à un nouveau consulat et obtient du sénat l'autorisation de le faire tout en restant absent de Rome, c'est-à-dire près de ses armées. Faute de cette autorisation, il redevient simple particulier, ce qui le met à la merci de ses adversaires. Malgré l'intercession des tribuns de la plèbe, qui défendent César, Pompée fait escamoter par une nouvelle loi l'autorisation sénatoriale.
L'année 50 avant J.-C. s'écoule dans les atermoiements. On apprend que César concentre ses troupes en Cisalpine. Le consul Marcus Claudius Marcellus somme Pompée de prendre ses dispositions pour marcher contre lui. César a conservé ses fonctions au-delà de la date limite : il propose d'y renoncer si Pompée en fait autant. En refusant et en décrétant le rappel de César, le sénat jette définitivement les deux rivaux l'un contre l'autre.
4.2. Alea jacta est
Pompée envisage de refuser la bataille : il espère lasser les armées de César. Mais il a désappris le métier de chef militaire et, à ses côtés, il a surtout des politiciens véreux. Au contraire, le camp de César est rempli d'officiers d'une fidélité aveugle à leur chef. César s'est attaché ses lieutenants et ses hommes – il les appelle non pas « soldats » mais « compagnons ». Aussi, comme le rapporte l'historien latin Suétone « quand il s'engagea dans la guerre civile, les centurions de chaque légion lui promirent d'équiper chacun un cavalier à leurs frais, et les soldats lui offrirent leurs services gratuitement, sans ravitaillement ni solde, les plus riches se chargeant d'entretenir les plus pauvres ».
César entre donc dans la guerre civile avec d'énormes atouts, mais une chose le gêne : le fait d'avoir à se mettre lui-même hors de la légalité. Or c'est ce qui doit arriver s'il franchit avec ses soldats le Rubicon, la rivière qui sépare sa province de l'Italie (péninsulaire), territoire sur lequel il ne lui a pas été confié de commandement. Il hésite jusqu'au dernier instant. Un incident précipite les choses : des soldats suivent un pâtre qui jouait du pipeau jusqu'au-delà du pont. César… suit, en prononçant ces paroles fameuses : Alea jacta est (« Le sort en est jeté »).
5. César contre Pompée : la guerre civile (49-45 avant J.-C.)
La guerre se déroulera à travers tout le monde romain.
5.1. La conquête de l'Italie
Pompée se fait illusion sur ses forces et tout le monde est persuadé de la faiblesse de César. Or celui-ci s'est préparé avec discrétion. Une fois le Rubicon franchi, il fonce : cinq jours plus tard, Pompée et ses partisans quittent Rome dans la panique. Ils cherchent à barrer le sud de la péninsule. César arrive à son tour à Brindisi où Pompée s'est replié, mais ne parvient pas à l'empêcher d'embarquer, discrètement, de nuit.
César revient donc sur Rome, où il ne trouve qu'un sénat réduit : les partisans de Pompée sont partis avec lui. Il se tourne alors vers les pompéiens d'Espagne, mais il se heurte en route aux Marseillais, qui, peu satisfaits des conséquences économiques de la guerre des Gaules, se sont rangés parmi ses adversaires : assiègés en mai 49 avant J.-C., ils capitulent en octobre. En Espagne, la forteresse d'Ilerda (Lérida), où les pompéiens sont installés, capitule en août.
César revient à Rome, s'y fait attribuer la dictature, puis le consulat pour 48 avant J.-C. avant de reprendre la poursuite de ses adversaires.
5.2. De la Grèce à l'Égypte
En 48 avant J.-C., César passe en Épire et en Thessalie, où, dans des conditions souvent difficiles, puisqu'il est un moment poursuivi par Pompée, il parvient à Pharsale et y bat les pompéiens. Il gagne ensuite Alexandrie, où les ministres du roi lui font remettre la tête de son adversaire, qu'ils ont fait décapiter. Mais rien n'est encore terminé, car il reste des pompéiens un peu partout.
Dans l'immédiat, César est arrivé en Égypte au milieu d'une crise politique. Il s'érige en arbitre entre les deux souverains en désaccord, Ptolémée XIV et Cléopâtre VII. Il ne s'est peut-être pas laissé séduire par celle-ci, mais se décide en sa faveur. Les partisans de Ptolémée provoquent alors contre lui une insurrection dans Alexandrie. César rétablit la situation grâce à Mithridate, roi de Pergame (en Asie Mineure), venu à son aide (bataille du Nil et prise d'Alexandrie, 27 mars 47 avant J.-C.). Il visite alors l'Égypte en remontant le Nil sur un bateau en compagnie de Cléopâtre.
Pharnace, fils du grand Mithridate, entreprend de renouveler les exploits paternels : il attaque les rois de Cappadoce et de Petite Arménie. Mais ceux-ci ont fait leur soumission à Rome et quand César vient à son tour, il écrase ses adversaires à Zela et écrit : Veni, vidi, vici (« Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu ») [2 août 47 avant J.-C.].
5.3. En Afrique puis en Espagne
L'hiver suivant, César est en Afrique du Nord, où se sont réfugiés de nombreux républicains. À l'issue d'une campagne difficile, il les massacre à Thapsus, sur la côte orientale de la Tunisie (6 avril 46 avant J.-C.). Quelques-uns se suicident, dont Caton d'Utique.
Les pompéiens se sont alors regroupés en Espagne, sous Cnaeus Pompeius, fils du grand Pompée. À Munda, au sud de Cordoue, César en vient à bout en un combat ultime, mais sans pitié (17 mars 45 avant J.-C.). Ses légionnaires gaulois auraient massacré 33 000 hommes.
La guerre civile est terminée. César n'a plus qu'un an à vivre. Mais quelques mois lui suffisent pour transformer la république romaine en un empire.
6. Le fondateur de la nouvelle Rome
Dans l'intervalle des campagnes militaires, le pouvoir politique de César s'est fortifié.
6.1. César imperator
Il a été soutenu par ses partisans, s'est acquis de nouveaux honneurs (cursus honorum), même en son absence de Rome. Il est de nouveau dictateur, puis consul pour cinq ans, dictateur pour dix ans, consul pour dix ans, préfet des mœurs pour trois ans (nouvelle tâche créée pour lui, puisque, étant consul, il ne pouvait légalement pas être censeur).
Ne pouvant, du fait de ses origines nobles, devenir tribun de la plèbe, César s'est fait déclarer, comme les tribuns, inviolable et sacré, et s'est arrogé le droit de les déposer. Acclamé imperator, c'est-à-dire général victorieux, à l'issue de ses campagnes, il est devenu, après la bataille de Munda, imperator dans un nouveau sens du mot, en tant que détenteur de l'imperium, la toute-puissance politique, et ce titre s'accole habituellement à son nom.
6.2. Le politicien habile
Ainsi, maître de tout et de tous, César poursuit les réformes et la politique intérieure déjà amorcées dans l'intervalle de ses campagnes ou même au cours de celles-ci. Car, toujours par monts et par vaux, il travaille et écrit plusieurs de ses œuvres en voyage. Il s'entoure d'un secrétariat de plus en plus nombreux, de même qu'il confie des fonctions inédites à ses fidèles. C'est ainsi que s'esquisse le système des bureaux impériaux, parallèles aux magistratures d'origine républicaine.
D'intrigant politique, César est devenu homme de guerre, puis administrateur et réformateur. Il se révèle tout aussi brillant dans cette dernière tâche.
Démagogie et clémence
D'abord, la sécurité : après les désordres de la guerre civile, César et l'État seront respectés grâce à la loi de majesté. Une loi décourage la violence dans la rue. Les associations sont supprimées en grand nombre.
Ensuite, sous une apparence de réconciliation, d'amnistie et de ralliement, César revient à la politique de recherche de la popularité, c'est-à-dire de démagogie. Son despotisme égalitaire tend à abaisser la noblesse sénatoriale et les hommes d'affaires, mais favorise tous les autres. La clémence ne s'étend quand même pas à tous : il s'agit d'un choix savamment dosé. Il fait grâce aux pompéiens, en libérant les prisonniers, en laissant rentrer ceux qui ont fui, en donnant des fonctions à quelques-uns. Cicéron se fait pardonner sa longue bouderie.
César relève les statues de Pompée, mais aussi de Sulla. Les fils des proscrits de Sulla cessent d'être inéligibles. Les exilés politiques sont rappelés. Les soldats, eux, outre leur part de butin, bénéficient de lots dans des colonies dont les sites sont bien choisis, car ce sont ceux de grandes villes ou de futures grandes villes : Séville, Narbonne, Arles, Corinthe.
Tolérance religieuse
Sur le plan religieux, même, César se garde bien de proscrire les religions exotiques. Il laisse les peuples soumis pratiquer le culte de Mithra ou d'Isis. Les bacchanales peuvent être célébrées au grand jour. César est tolérant même à l'égard des Juifs, pourtant adversaires de tout le paganisme traditionnel : les synagogues sont autorisées à fonctionner, et le grand prêtre de Jérusalem est habilité à percevoir la taxe d'entretien du Temple.
Du travail pour les Romains, des droits pour les provinces
Au peuple de Rome, César cherche à procurer du travail et propose des terres à ceux qui veulent quitter la ville. Il limite à 150 000 les participants aux distributions publiques, mais étend les limites de la ville, qu'il gratifie de nouveaux monuments : nouveau Forum, avec basilique, temple de Venus Genitrix et bibliothèque, la première bibliothèque publique de Rome.
Il fait davantage encore pour les provinciaux. Il distribue le droit latin, et il l'accorde notamment à la Sicile. Il en est de même du droit de cité, dont la Cisalpine bénéficie. Les abus des sociétés financières sont réprimés, et les impôts directs ne sont plus affermés. La lex Iulia municipalis accorde une appréciable autonomie aux colonies et aux municipes (cités conquises). Il s'amorce ainsi une décentralisation de l'État, comme pour rapprocher le monde romain du type hellénistique de la confédération des villes.
6.3. Le grand réformateur
Parmi ces dispositions, souvent destinées à rallier les populations, on remarque des vues quasi prophétiques et des réformes de valeur durable. César esquisse quelques traits de la géographie politique de l'Europe : il est le premier à assigner, de sa propre autorité, le Rhin comme frontière naturelle à la Gaule, et il inaugure l'unité de l'Italie. Il dote le monde du calendrier julien, que l'on utilise toujours.
Un esprit modernisateur
César pratique une politique économique évoluée : en décongestionnant Rome, ville d'oisifs, au profit d'un retour à la terre ; en imposant des taxes douanières à l'entrée des denrées et non à leur sortie, comme c'était l'usage antique ; en restaurant une monnaie saine et en adoptant l'étalon-or.
Il accorde aux anciens combattants des emplois réservés, découvre, de beaucoup le premier, « la notion d'incompatibilité appliquée aux fonctions électives ; un minimum de moralité imposé aux élus ; dans les compétitions électorales, le bénéfice de l'âge » (Jérôme Carcopino, historien).
Il favorise les familles nombreuses. Il organise la propagande politique, en prescrivant l'affichage des comptes rendus des séances du sénat, comme il a publié au jour le jour ses communiqués de guerre. Enfin, il révolutionne l'instrument du travail intellectuel en adoptant le codex, ancêtre du livre actuel, à la place du rouleau, volumen. Tout cela fait de César « un des plus puissants démiurges qu'ait façonnés l'histoire des hommes » (J. Carcopino).
7. L'imperator qui voulait être roi
7.1. L'abaissement du sénat
Malgré le caractère estimable de l'ensemble de ces réformes, César a aussi détruit des institutions au profit de son despotisme personnel.
Respectueux des comices tributes (assemblées basées sur le cadre des tribus), il n'en a pas moins fait un instrument de louange et d'approbation à sa dévotion. Le sénat est devenu un conseil consultatif. L'accroissement du nombre de ses membres, qui passe de 600 à 900, réduit le prestige de la classe sénatoriale et permet d'y introduire des fidèles et des provinciaux. Les magistrats sont, eux aussi, affaiblis par leur multiplication : 40 questeurs, 6 édiles, 16 préteurs, quand, toutefois, il y a d'autres consuls que César lui-même. De toute façon, César nomme la moitié de ces magistrats.
7.2. Le culte de la personnalité
Après l'abaissement des magistrats, le prestige du maître. En 46 avant J.-C., César célèbre quatre triomphes successifs. Mieux, un véritable culte s'instaure autour de sa personne. Comme les dieux, il donne son nom à un mois. Comme eux, il bénéficie de cérémonies ou d'attributs significatifs : jeux publics en l'honneur de ses victoires, char professionnel, flamine attitré, statues dans les temples. On rappelle qu'il descend de Vénus. Tout cela fait songer aux rois-dieux des monarchies hellénistiques et aussi à une marche vers la royauté.
7.3. L'inaccessible royauté
Certes, le peuple romain avait en horreur le nom de roi. César peut-il, sans risque, prétendre à un titre abhorré ? Il désire ce titre. En 44 avant J.-C., on sent qu'il va l'obtenir. En février, le sénat lui accorde un costume de roi, un trône. À la fête des lupercales, son lieutenant Antoine tente de le coiffer du diadème, équivalent hellénistique d'une couronne. On lui attribue le titre de pater patriae (père de la patrie), il devient dictateur perpétuel, sa tête apparaît sur les monnaies, ce qui est une prérogative royale ou divine. Des monnaies avec le titre royal sont sur le point d'être émises. Mais on sent la foule prête à protester. César fait mine de repousser la royauté. Peut-être portera-t-il le titre de « roi » hors de Rome ? Il s'apprête à partir en guerre contre les Parthes, or, en Orient, un titre de « roi » est très opportun. Il a d'ailleurs adopté Octave, pour le seconder là-bas, en attendant de lui succéder éventuellement.
7.4. Vingt-trois coups de poignard le jour des ides de mars
Une conspiration, menée par Cassius et Brutus, se noue entre mécontents et partisans de la République. Le jour des ides de mars 44 avant J.-C. (le 15), en pleine séance du sénat qui s'est réuni pour préparer une expédition contre les Parthes, César tombe, transpercé de vingt-trois coups de poignard. Reconnaissant parmi ses agresseurs son fils Brutus, il aurait dit : « Et toi aussi, mon fils ! » On ne reconnaît pas l'homme qui, en quelques mots laconiques et sentis, savait mettre fin à une menace de mutinerie.
L'assassinat fut assez diversement jugé. Si l'on en croit le poète Lucain, pourtant républicain et pour qui ce meurtre était un sacrifice nécessaire, il fut assez généralement considéré comme une chose honteuse. On se rallia souvent par la suite, et pour éviter le courroux impérial, à l'opinion de Plutarque, selon lequel César était l'homme providentiel, seul capable, par sa monarchie, de remédier au désordre politique. Il est vrai que l'ordre qu'il avait créé valait mieux qu'une république abusive. Il a surtout réussi à déposséder très rapidement l'oligarchie, et celle-ci n'a pas réussi à reprendre le dessus. Quant aux apparences de l'État, c'était toujours la République, mais César l'avait confisquée au profit d'un seul homme.
Son petit-neveu Octave (le futur Auguste), qu'il a adopté, s'appuiera sur son héritage pour fonder l'Empire.
8. Destinée du nom de César
Le nom de César, comme celui d'Auguste, a été adopté et conservé par les empereurs successifs. On ne disait pas l'empereur, mais César ou le césar. Le terme, donc, devait devenir synonyme d'empereur, et c'est à ce titre qu'on le retrouve sous la forme de kaiser, de czar ou de tsar pour désigner des monarques bien éloignés des dynasties romaines.
Les douze premiers empereurs romains, en vertu de l'œuvre de Suétone, sont appelés les douze Césars, sans que cela corresponde à un lien particulier entre eux, puisque s'y trouvent englobées deux dynasties, celle des Julio-Claudiens, fondée par Jules César, et celle des Flaviens. Ces douze sont César, Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus et Domitien.