Gustav Mahler
Compositeur et chef d'orchestre autrichien (Kalischt, aujourd'hui Kaliště, Bohême, 1860-Vienne 1911).
Chef d'orchestre au prestige international, Gustav Mahler fut en revanche un compositeur qui eut souvent à souffrir de l'incompréhension et même de l'hostilité de ses contemporains (« le créateur est un archer qui tire dans le noir », disait-il). Ses œuvres font de lui l'un des précurseurs les plus décisifs de la musique contemporaine.
Le chef d'orchestre charismatique
Deuxième d'une famille de quatorze enfants, d'origine juive et de langue allemande, Gustav Mahler apprend très tôt le piano. Élève du Conservatoire de Vienne de 15 à 18 ans, il complète sa formation en classes d'harmonie et de composition. Au cours de ses études universitaires (1877-1879), il se lie avec Anton Bruckner, dont il devient, dans une certaine mesure, le disciple. Il compose en 1880 une cantate profane, Das klagende Lied, qui rebute les musiciens de la « vieille garde » comme Brahms. Il opte alors pour une carrière de chef d'orchestre, qui le mène à Bad Hall, près de Linz (1880), puis à Ljubljana (Slovénie [1881-1882]), à Olomouc (Moravie [1883]) et à Kassel (Prusse [1883-1885]). Engagé dès l'âge de 25 ans à l'Opéra de Prague, il y dirige des œuvres de Wagner, de Mozart et de Beethoven (Symphonie n° 9). À la suite d'un conflit interne, il part en 1886 pour Leipzig, où il trouve un rival en la personne du brillant Arthur Nikisch. Sur le plan personnel, ces années-là sont celles d'amours tumultueuses.
En raison d'un nouveau conflit, Mahler quitte Leipzig en 1888 et prend la direction de l'Opéra de Budapest, où ses mises en scène et ses conceptions orchestrales font la quasi-unanimité. Comme compositeur, il subit un échec avec sa Symphonie n° 1 (« Titan », 1888) et renonce à renouveler l'expérience dans l'immédiat. En 1891, il accepte le poste de premier chef d'orchestre à l'Opéra de Hambourg, où il reste six ans. Passant l'été près de Salzbourg, il y écrit ses Symphonie n° 2 (« Résurrection », 1894) et Symphonie n° 3 (1896), ainsi que la plupart de ses Lieder aus des Knaben Wunderhorn (le Cor merveilleux de l'enfant, 1892-1899). Après s'être converti au catholicisme, il parvient, en 1897, à se faire nommer directeur de l'Opéra de Vienne, dont il va faire la première scène lyrique du monde occidental. Il y accomplit une œuvre de musicien-dramaturge qui vise à fusionner en un tout unique les divers éléments, visuel, dramatique et musical, de la représentation lyrique (Tristan et Ysolde [Wagner], Fidelio [Beethoven], Don Giovanni et les Noces de Figaro [Mozart], Iphigénie en Aulide [Gluck]). Pendant trois ans (1898-1901), il dirige aussi l'Orchestre philharmonique, faisant preuve dans tous ses emplois de partis pris qui lui attirent de solides inimitiés.
Le compositeur postromantique
Marié en 1901 à une jeune musicienne, Alma Schindler (1879-1964), Mahler fait, grâce à elle, la connaissance d'éminents artistes, tels le peintre Gustav Klimt et le compositeur Arnold Schoenberg – qui reconnaîtra sa dette artistique envers son aîné. Toujours pendant ses vacances, il travaille sur quatre autres symphonies (1901-1906), la Symphonie n° 8 étant dite « Des Mille », et compose les Kindertotenlieder (Chants pour les enfants morts, 1901-1904). Il porte alors à son apogée le lyrisme postromantique en accordant une large part aux parties vocales – en solo ou en chœur. Compositeur désormais reconnu, il dirige ses partitions en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas.
En 1907, Mahler quitte Vienne pour New York, où, pendant deux ans, il parachève sa carrière de chef d'orchestre au Metropolitan Opera – tout en entrant en concurrence avec Arturo Toscanini. Il ne reviendra plus en Europe que pour passer l'été dans le Tyrol du Sud, où il composera Das Lied von der Erde (le Chant de la Terre, 1908-1909), immense oratorio en six parties bâti sur des textes du poète chinois Li Bo, ainsi que la Symphonie n° 9 et le premier mouvement de la dixième (restée inachevée). Tombé gravement malade à New York, il meurt quelques jours après son retour à Vienne. Huit mois auparavant, il avait connu à Munich, lors de la création de sa Symphonie n° 8, le plus grand triomphe de sa carrière de compositeur.
Reflet des conflits et des crises qui émaillèrent la vie du musicien, tout autant que de ses aspirations et de ses visions, son art annonce une esthétique nouvelle, où la polyphonie acquiert une nouvelle liberté et où l'orchestration est en perpétuelle évolution. Theodor Adorno dit de Mahler qu'il fut « le compositeur le plus métaphysique depuis Beethoven ».
Gustav Mahler/Aschenbach et la Mort à Venise
Grand admirateur de Gustav Mahler, l'écrivain allemand Thomas Mann était en voyage à Venise dans la semaine qui suivit la disparition du musicien à tout juste 50 ans. Il se plongea alors dans la composition d'une nouvelle qu'il intitula la Mort à Venise et qui parut en 1912. Dans ce texte à forte connotation autobiographique, il fait vivre son lecteur dans l'intimité à la fois sensuelle et esthétique d'un romancier, Gustav Aschenbach, qui n'est autre pour lui que…Gustav Mahler.
Le cinéaste Luchino Visconti, qui avait fait la connaissance de Thomas Mann en 1951, adapta sa nouvelle vingt ans plus tard. Dans sa version de la Mort à Venise, il poussa la connivence jusqu'à faire d'Aschenbach un musicien – et non plus un écrivain – et choisit pour sa bande sonore des extraits de la Symphonie n° 5 de Mahler.