Trente Glorieuses
Période historique comprise entre 1946 et 1975 pendant laquelle la France et la plupart des économies occidentales connurent une croissance exceptionnelle et régulière et à l’issue de laquelle elles sont entrées dans l’ère de la société de consommation.
1. L'origine de l'expression « Trente Glorieuses »
Titre de l’étude publiée en 1979 par l’économiste Jean Fourastié, l’expression fut choisie en référence aux « Trois Glorieuses » de la révolution de 1830 et à la « révolution invisible », sous-titre de l’ouvrage, dont la France fut le théâtre au cours de ces années. La plupart des pays occidentaux, ainsi qu’en Asie, le Japon, ont également été marqués par cette phase d’expansion connue – en Allemagne et en Italie notamment – sous le nom de « miracle économique » ou, plus généralement, d’« âge d’or » de la croissance.
1.1. Les deux France
En prélude à son étude, J. Fourastié brosse le portrait économique et social de deux villages, le premier, baptisé Madère, dont l’économie à prédominance rurale est quasiment autarcique, dont l’agriculture aux faibles rendements est fondée sur de petites exploitations et où l’alimentation absorbe l’essentiel des dépenses des ménages.
Le second, Cessac, dont le niveau de vie moyen est quatre à cinq fois plus élevé, où la population active est majoritairement employée dans des activités tertiaires, dont les rendements agricoles ont été multipliés par quatre et dont les ménages sont équipés de tout le « confort moderne ».
Il s’agit en fait du même village, deux états en miniature de la France que trente ans de développement séparent.
2. Les principaux changements
Dans le sillage de la reconstruction d'après-guerre appuyée sur le plan Marshall et les accords de Bretton Woods, la croissance économique de la France atteint plus de 5 % par an en moyenne entre 1950 et 1973 contre 1,15 % en 1913-1950 et 2,10 % en 1973-2000.
À l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande, la plupart des pays d’Europe connaissent des rythmes de croissance similaires, comblant ainsi le fossé qui s’était creusé depuis la fin du xixe siècle avec le niveau de vie des États-Unis.
2.1. Les évolutions démographiques
La population d’Europe occidentale augmente de quelque 56 millions d’habitants entre 1951 et 1975, dont environ 10 millions pour la France et 12 en Allemagne (baby-boom).
En France, l’espérance de vie s'élève ; elle était en 1946 de 59 ans pour les hommes et de 65 ans pour les femmes, et atteint respectivement 69 et 76 ans en 1975, tandis que la mortalité infantile diminue de 77,8 ‰ à 13,8 ‰.
La population active reste cependant stable, mais on assiste à un vaste transfert du secteur primaire – qui représente 10 % des actifs en 1975 contre 36 % en 1946 – vers le secteur secondaire (plus de 38 % contre 32 %) puis tertiaire (plus de 51 % contre 32 %). Cette tertiarisation, qui marque aussi l’industrie (naissance de la catégorie professionnelle dite des « cols blancs »), et cette salarisation se poursuivront par la suite renforçant le poids des classes moyennes. Avec des taux de chômage inférieurs à 2 % puis 3 % dans de nombreux pays, le plein emploi est la règle.
2.2. Élévation du niveau de vie et consommation de masse
Les Trente Glorieuses sont caractérisées par une augmentation sensible du pouvoir d’achat – malgré le coût de la vie – et par une réduction des inégalités de revenu (création du salaire minimum interprofessionnel [SMIG] en 1950).
La généralisation du mode de vie propre à la société de consommation ou à l'Ère de l'opulence (J. K. Galbraith) est illustrée par les taux d’équipement des ménages en téléviseur, machine à laver ou réfrigérateur, qui, en France, passe de 10 % en 1954 à 70-90 % en 1975-1976. Entre autres indicateurs, les dépenses consacrées aux loisirs (troisième semaine de congés payés en 1956, quatrième en 1969), l’accession à la propriété ou à la possession d’une automobile, en témoignent également.
2.3. Investissement industriel, progrès technique et productivité du travail
La croissance des années 1950-1970 est tirée par les activités industrielles et le bâtiment, ainsi que par les services marchands. L’investissement en est un facteur déterminant et si sa part varie selon les pays, elle tend à converger autour de 25 % du PIB au cours des années 1960.
Il s’accompagne d’une forte augmentation de la productivité du travail suscitée par le l’évolution de la population active (« déversement sectoriel »), la hausse du niveau moyen d’éducation, l’innovation technique et les nouveaux modes d’organisation du travail. C’est ce « compromis fordiste » (fordisme), fondé sur un « partage » des gains de productivité entre profits et salaires, entre production et consommation de masse, qui a été mis en avant par certains, comme le ressort profond de la dynamique des Trente Glorieuses.
2.4. La libéralisation et l’intensification des échanges
Le lancement du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) (1947) et l’entrée en vigueur de la Communauté économique européenne (CEE), en1958, sont les deux principales étapes d’une ouverture des économies occidentales. En 1975, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Italie deviennent les principaux pays exportateurs derrière les États-Unis, tandis que le Japon s’impose de son côté progressivement dans le commerce international.
2.5. L’intervention de l’État et les politiques conjoncturelles
La planification indicative, le secteur nationalisé, l’État providence, qui prend alors son essor, les investissements publics, l’aménagement du territoire (création de la DATAR en France, 1963) contribuent directement ou indirectement à la redistribution des revenus et à la croissance globale, tandis que les politiques conjoncturelles visent à en corriger les déséquilibres internes (tensions inflationnistes).
3. La fin de l’« âge d’or »
Le mode de développement propre aux Trente Glorieuses atteint ses limites à partir de la fin des années 1960. Les pays occidentaux entrent alors dans une phase de « stagflation » : le tassement de la croissance, de l’investissement et la montée du chômage s’accompagnent d’une accélération de l’inflation, jusque-là rampante mais contenue.
S’y greffent deux chocs externes : l'un, monétaire (fin du système monétaire de Bretton Woods 1971-1973) ; l'autre, pétrolier (hausses du prix du baril en 1973 et 1979). Avec le ralentissement de la productivité, la spirale inflationniste et la création d’un chômage structurel, les Trente Glorieuses prennent fin et les pays occidentaux entrent dans une période de crise profonde et durable.